Les vertus thérapeutiques des activités manuelles

Faire quelque chose de ses mains est un gage d’équilibre et de mieux-être.

Dans une première vie, Cécile Barbara se voyait comme «une pure intellectuelle». Bac + 5, grande école de commerce, admissible à l’ENA… Ses compétences analytiques étaient indéniables. Trente ans plus tard, la voici mosaïste et, même si elle garde quelques missions journalistiques, l’essentiel de son activité quotidienne est la création et la pose de sols ou de façades de boutiques. Une reconversion après un licenciement, un CAP de carreleur obtenu à l’âge de 40 ans, Cécile est une «néo-artisane» qui a trouvé sa voie par hasard.

«Un jour, attirée par les couleurs, j’ai acheté dans un magasin de bricolage un petit kit pour décorer un cadre photo, se souvient-elle. L’immense plaisir que j’ai ressenti, le dimanche après-midi suivant, en assemblant les petits carrés de céramique, une forme de concentration joyeuse, ne m’a jamais quittée! Et même aujourd’hui quand j’ai d’importants chantiers à mener, avec leurs contraintes et les soucis que cela implique, créer une mosaïque m’apaise.»

Ce travail manuel a même changé «toute (sa) manière de vivre», confie-t-elle, et cela, elle l’explique par l’intense transformation personnelle que cette activité a entraînée. «Lorsque j’installe une mosaïque, j’arrête de penser, je fais le vide et mon corps tout entier se retrouve engagé à travers mes sensations. Tous mes sens sont convoqués: la vue de toutes ces couleurs, le toucher, l’odorat – ça sent la colle! -, l’ouïe quand je coupe… Et quand je vois ma création terminée, je peux vraiment dire: “oui, ma main donne la vie!”»

Ces pouvoirs transformateurs du geste manuel, la plasticienne et docteur en art-thérapie Géraldine Canet, qui vient de participer à l’ouvrage collectif Les Art-thérapies (Éd. Armand Colin), les observe quotidiennement dans les ateliers qu’elle anime. «Le fait de “faire” amène une stimulation des sens et donc des affects, qui nous permet en un sens de “ déposer nos souffrances ” dans cette matière que nous travaillons, et ce, qu’il s’agisse de modelage, de construction…ou même de projections de boules en papier mâché!». Et la thérapeute de citer le cas de cette patiente, une jeune femme qui avait été agressée physiquement et ne pouvait revenir en mots sur cet événement. «Au cours d’une séance, elle a inscrit des empreintes d’objets sur un bol en terre qu’elle avait modelé, révélant inconsciemment par ces gestes les traces laissées sur son corps par l’agresseur, analyse Géraldine Canet. La séance suivante, elle a été en mesure de parler de l’agression qu’elle avait subie.» Et la thérapeute de relever combien ces activités manuelles sont particulièrement bénéfiques quand «la parole est compliquée».

La réappropriation du geste, qui s’améliore avec la pratique régulière, est un autre élément extrêmement renarcissisant. «J’ai découvert de nouvelles capacités en moi, précise Cécile Barbara: mes coupes de carrelage sont de plus en plus précises, je jauge mieux l’ensemble, et voir sur la table le fruit de mes créations de plus en plus imposantes, voir le travail vraiment accompli, tout cela me conforte et m’encourage.»

Pour Géraldine Canet, le travail manuel permet d’envisager et de traverser différents stades de la matière, ce qui est fondateur «La terre malléable, par exemple, solide et souple à la fois et qui peut être modelable à l’infini, et peut même revenir à l’informe, permet tout un processus de transformation», affirme-t-elle.

Tous ces éléments expliquent probablement l’immense engouement, à différents stades de la société, pour les loisirs ou métiers manuels. Les éditeurs en sont les premiers avertis, eux qui depuis cinq ans voient leurs ventes de livres traitant de «loisirs créatifs» exploser. Après le coloriage ou l’origami (pliage de papier) pour se déstresser, ils proposent désormais des livres de «tricot-thérapie». Les bienfaits psychiques de cette simple activité manuelle ont d’ailleurs été prouvés par une étude menée en 2013.

Cette passion de l’activité manuelle se révèle aussi dans les choix professionnels, comme le montre le livre du sociologue Jean-Laurent Cassely La Révolte des premiers de la classe (Arkhê Éditions), qui observe que, selon les chiffres de l’Apec, 14 % des jeunes diplômés de niveau bac + 5 ou plus auraient entrepris une réorientation professionnelle dans les deux ans suivant l’obtention de leur diplôme. Environ 7000 d’entre eux choisiraient chaque année de se tourner vers les métiers de l’artisanat.

«Dans un monde de vitesse qui nous échappe et de dématérialisation de tout pouvant entraîner une certaine anxiété, le retour à la matière est refondateur d’un rapport au réel, estime Géraldine Canet. Il permet aussi de revenir à soi, tout en pouvant partager avec les autres en situation de groupe.»

 Pascale Senk 02/10/2017 Le Figaro

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