Toucher, effleurer, heurter, émouvoir, désarmer, chatouiller

Psychopraticienne et danse thérapeute, je m’interroge régulièrement sur le rapport au corps et au toucher, du corps à la psyché.

En tant que danse thérapeute, j’interviens depuis plus de quinze ans dans un hôpital de jour accueillant des jeunes gens en souffrance psychotique.

Je travaille avec un groupe semi-ouvert de six à huit patients, et je propose un atelier hebdomadaire de danse improvisée et de danse appelée Contact Improvisation (née dans les années 1970 à l’initiative de Steve Paxton).

Le Contact Improvisation se joue dans l’apprentissage de l’altérité : mon mouvement existe parce que je prends appui sur l’autre, mais si je me « fonds » en lui, le mouvement cesse par extinction de la dynamique. La danse naît et se développe par le contact avec l’autre, contact allant de l’effleurement jusqu’à prendre appui ou offrir un appui à mon ou mes partenaires de danse.

Le toucher est donc le sens convoqué, sollicité en premier lieu pour être “à l’écoute“ dans l’ici et maintenant du mouvement qui se crée dans l’instant.

Au cours de mes différentes formations en art-thérapie et en psychopathologie, j’ai beaucoup entendu qu’il ne fallait pas toucher une personne souffrant de psychose en raison du risque de décompensation.

Malgré cela et avec la connaissance de ce risque, dans un cadre défini, suffisamment contenant et sécurisant, autant celui de l’institution où j’interviens que celui que j’ai posé pour l’atelier, je propose ces deux types de danse. Mon hypothèse est que cette pratique du Contact Improvisation offre la possibilité de travailler au niveau de problématiques comme les limites, le contenant, le dedans/dehors, problématiques à la base de la constitution de l’identité. Ceci, en plus du mouvement lui-même, par l’intermédiaire du toucher, et donc de la peau. (Le système du squelette est également sollicité, principalement pour ses qualités de support, mais le développement de ce point sortirait du cadre de cet article).

En effet, toujours sensuel, propre aux sens, le toucher concerne en premier lieu la peau, à la fois enveloppe protectrice et relationnelle. Ce système corporel source et récepteur du contact avec les autres, possède la double qualité de perception de soi et de perception de l’extérieur, établissant la limite entre soi et l’extérieur, permettant le contact en même temps que mettant la limite.

Limite qui permet elle-même la différenciation et l’identification.

J’observe ainsi depuis plus de quinze ans combien les propositions de toucher peuvent ouvrir un espace de parole comme un espace de mouvement pour les patients, aussi bien avant qu’après l’avoir expérimenté. Espace où peut se dire, par exemple, le rapport au corps, l’attention ou non aux sensations, aux perceptions, espace où peut être nommée l’angoisse à l’idée d’être en contact avec un autre, du fait de ne pas se représenter avoir une peau et d’avoir peur de l’intrusion. Bien sûr, le toucher, le contact n’est jamais obligatoire, et il peut y avoir des jeux avec les distances (plus ou moins proches), ou avec l’utilisation d’un ballon entre soi et l’autre.

Dans mon cabinet, j’ai travaillé avec une cliente qui, en raison de douleurs physiques inexpliquées médicalement, avait une demande de soin corporel.

(Elle cherchait un ostéopathe, et par le truchement de pages internet a trouvé, je ne sais comment ni elle non plus, mon numéro. Elle a tout de même pris rendez-vous avec moi bien que je lui aie précisé que je ne proposais pas ce type de soin). Après environ deux ans de travail dit verbal, et lors d’une séance où elle parlait de sa souffrance de ne pas avoir été accueillie par sa mère, je lui ai proposé de rapprocher nos fauteuils et de venir poser sa main dans la mienne si elle le souhaitait. Elle a accepté. Ce moment a été fort et fragile émotionnellement, ce toucher comme un appel à sentir, à s’incarner, à s’ancrer. À partir de cette séance, cette cliente a commencé à se défaire de cette attente douloureuse et entêtante que sa mère la prenne dans ses bras. Quelque chose s’est dénoué et nos séances ont gagné en proximité psychique, en une confiance plus approfondie de cette cliente dans cet espace de la thérapie.

De mon côté, j’ai proposé ce travail sur une intuition et en même temps en pensant, par ce geste, ouvrir un espace d’accueil inconditionnel pour cette cliente, espace pouvant également représenter symboliquement l’enveloppe corporelle. Cette enveloppe sans laquelle la « chair est à vif ».

Le toucher peut être (re)structurant, contenant, et/ou intrusif, déplacé, envahissant.

Des collègues psychothérapeutes de référence psychanalytique considèrent tout toucher comme incestuel dans une séance de psychothérapie.

Je pense que se pose la question de son propre rapport au toucher. Je rencontre des clientes ou des clients pour lesquels ne me viendrait pas l’idée de leur proposer un contact autre qu’une poignée de mains. Soit parce que je n’y vois pas de sens, soit parce que cette proximité serait une effraction dans leur cadre de référence ou dans leur cheminement.

Quoi qu’il en soit, proposer, accepter ou refuser un contact corporel a un sens qui invite à être pensé. On ne peut toucher sans être touché. Il existe de multiples façons de toucher (avec ou sans tact, geste médical, technique, affectueux, brutal, doux…) et de nombreuses définitions du toucher qui concernent ce corps que j’ai et que je suis.

 

Christine Dorion,

Actualités en analyse transactionnelle 2018/1 (n° 161), p. 98-100.

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