L’utilisation du toucher-massage lors de douleur cancéreuse

Les bénéfices pour le soigné atteint de douleur cancéreuse

Quel est l’intérêt du toucher-massage pour les personnes atteintes de douleur cancéreuse ?

« Au travers du toucher, c’est la personne dans sa globalité qui est reconnue » (Avet et al., 2006, p83). En effet, c’est « reconnaitre l’autre au-delà de sa maladie, [ici le cancer], c’est induire des moments de détente, la notion de plaisir » (Avet et al., p83). C’est aussi un moyen non pharmacologique de prise en charge de la douleur, une « méthode physique » car elle utilise un moyen physique, le « contact de la peau pour stimuler les fibres nerveuses qui stoppent l’influx nerveux » (Thibault et Fournival, 2012, p XIX). En effet, c’est la théorie du « gate control », mécanisme compris par Melzack et Wall en 1965. C’est « l’explication scientifique [de ce qu’il se passe quand on] se cogne et frotte énergiquement la zone touchée [par réflexe] » (Thibault et Fournival, p 16). « Ce geste automatique entraine le soulagement de la douleur provoquée par le coup. Sur le plan physiologique, ce comportement permet le blocage du message douloureux, transmis au cerveau par des fibres de petit calibre [αδ ou C], par le message de frottement, transmis par des fibres de gros calibres [β]. » (Thibault et Fournival, p 16).

C’est exactement le même principe lors du toucher massage. En effet, « [le toucher est transmis très rapidement au cerveau grâce aux fibres très myélinisées (αβ) qui permettent une conduction rapide, plus rapide que la transmission de la douleur avec ses fibres peu (αδ) ou non myélinisées (C) »] »13 (Dr Levesque, 2017). De plus, lors de cette action, il y a « [libération] d’endorphines par l’organisme, hormones du plaisir qui ont un pouvoir analgésique et procurent une sensation de bien-être » (Thibault et Fournival, p 16).

Chez un patient algique, le toucher permet aussi de « redécouvrir corporellement des zones non douloureuses, sources de bien être ». Ainsi, « l’attention portée au corps n’est plus uniquement centrée sur la douleur et dans certaines situations, il s’agit même d’une décentration complète de l’individu » (Avet et al., p83). « Quelqu’un qui est plus détendu, peut-être qu’il va se recentrer ailleurs que sur ces douleurs à ce moment-là et [ça va] l’aider à se distancer de cette douleur » (ide 2). En effet, « le fait de centrer l’attention du patient sur une région du corps non douloureuse favorise aussi l’effet distractif, le patient se décentre de la zone douloureuse, se défocalise de la douleur. Il ressent alors une sensation de confort, une diminution de la douleur, une sensation de mieux être.» (Thibault et Fournival, p104).

Pour l’infirmière n°3, « c’est un petit répit d’accalmie ». Le toucher-massage permet donc au patient d’oublier un peu sa douleur cancéreuse. A travers le toucher-massage, l’infirmier soulage la douleur mais aussi les émotions associées. « Quand il utilise [cette] méthode non pharmacologique, le soignant ne cherche pas systématiquement à savoir si c’est de la peur ou de la douleur, il propose un […] moyen efficace tant sur la sensation douloureuse que sur les émotions vécues par le patient. » (Thibault et Fournival, p21). En effet, selon l’étude d’un article de recherche14 de Hentz F et al. , en 2009, « que ce soit pour l’anxiété et/ou la douleur », le toucher a toujours « un effet positif ». De plus, « l’intérêt de cette méthode est prouvé dans 7 situations sur 8 [pour la douleur et/ou l’anxiété] ». L’infirmière déclare « ça détend le corps et ça peut détendre le mental, ça peut baisser l’anxiété » (ide 4). De plus, cette technique complémentaire, aide le patient à s’exprimer : « c’est une approche qui passe d’abord par le physique et mine de rien, ils se livrent plus facilement aussi » (ide 2). Ça permet « de créer un contact particulier […] de confiance » (ide 2). Le toucher-massage facilite donc la communication et l’expression de la douleur physique ou morale.

L’utilisation du toucher-massage a donc un grand intérêt pour la prise en charge des personnes atteintes de douleur cancéreuse. Mais y’a-t-il aussi des bénéfices pour l’infirmier qui pratique ?

Y’a-t-il aussi des bénéfices pour le soignant ?

La définition de Joël Savatofski indique que le toucher-massage a aussi des bénéfices pour le pratiquant (« et qui plus est, à pratiquer »). En effet, « [le toucher-massage] présente la particularité de procurer une grande réciprocité des effets » (Thibault et Fournival, 2012, p106). Ainsi, « lors de sa réalisation […], [l’infirmier] retire au même titre que [le patient] des bénéfices en termes de détente, bien être, centrage » (Thibault et Fournival, p106). Les infirmières interrogées confirment : « c’est un moment de détente […] où l’on est dans un environnement particulier, donc on n’est pas dans le speed, dans la technique » (ide 4). Cela s’explique par le fait que « la relation soignant-soigné n’est jamais unilatérale, celui qui pratique le toucher-massage est vraiment en situation d’échange : il donne et il reçoit » (Bonneton-Tabariès, F. et Lambert-Libert A. 2013, p110).

Avec cette pratique, le soignant établit une relation unique avec son patient et vit un réel moment de partage : elle permet « d’être vraiment dans une relation authentique avec le patient » (ide 1) et de « créer un lien avec le patient plus fort » (ide 2). F. Bonneton-Tabariès et A. Lambert-Libert disent aussi que ce soin permet aux soignants de « sortir d’une certaine routine (des gestes techniques et répétitifs) ou du stress et de l’inquiétude que nous pouvons éprouver, en étant à l’initiative du soin ». En effet, une infirmière explique que nous avons un métier avec beaucoup de soins techniques «brutaux, non naturels» et que « souvent ça fait mal » alors que là c’est « un soin doux » et « on leur fait du bien » (ide 2).

Aujourd’hui, les conditions de travail ne sont pas toujours favorables, avec une surcharge de travail, où l’on n’a plus le temps de « prendre le temps », le toucher-massage s’avère être un moment où l’on peut se poser. La conjoncture actuelle nous amène parfois à ressentir de la culpabilité, de ne pas prendre bien soin des personnes soignées par manque de temps. Le toucher-massage permet justement d’éprouver le sentiment de bien faire son travail : « sentiment de bien faire les choses » (ide 3). De plus, dans certaines situations comme les personnes souffrant de cancer, nous pouvons nous sentir impuissant face à la douleur présente.

Grâce au toucher-massage, nous pouvons « participer à leur apaisement » […] « en ayant une implication plus personnelle dans le soin » et « être utile » (ide 1 et 2). Nous ressentons ainsi une réelle satisfaction : « finalement c’est une petite victoire » (ide 3). « C’est vraiment un enrichissement car là on est dans un acte concret de ce qu’on peut apporter à la personne » rajoute l’infirmière 3 et il permet de « se recentrer au coeur de [notre] métier » (ide 1). En effet, je pense qu’en tant qu’infirmiers nous souhaitons aider, apporter quelque chose aux patients afin d’améliorer leur quotidien, leur bien-être. En outre, l’infirmière 1 a fait un master 2 en sciences de l’éducation sur la formation des soignants à la pratique du toucher-massage et a fait une recherche montrant que cette pratique « permettrait aux soignants de maintenir leur santé au travail » car la formation « leur permet d’échanger sur le sens qu’ils donnent à leur métier et de « recontacter » les valeurs qui les portent ».

Les contraintes et limites de cette pratique

Nous venons de voir que le toucher-massage permet de nombreux bénéfices à la fois pour le patient atteint de douleur cancéreuse mais aussi pour l’infirmier qui pratique le soin. Cependant, quelles sont les contraintes pour la mise en pratique ? Quelles sont les limites de ce soin ?

a) Existe-t -il des contre-indications ?

Lorsque les « douleurs [sont] neuropathiques, le soignant [doit] adapte[r] son toucher en évitant d’effleurer la zone douloureuse, adoptant un geste ferme, paumes à plat, en touchant ou massant une zone non douloureuse. » (Thibault et Fournival, 2012, p45). Seules « les pathologies entrainant une atteinte neurologique de l’ensemble du corps » (Thibault et Fournival, p45) et la « fièvre, la phlébite, la peau lésée » constituent une contre-indication (Simon, A. n.c). En effet, si le patient est en [hyperthermie], le toucher-massage n’est pas conseillé car « la chaleur du soignant s’ajoute à la sienne » (Bonneton-27 Tabariès, F. et Lambert-Libert A. 2013, p118).

Le toucher-massage est « interdit pour les phlébites en raison d’un risque important de migration du caillot » (Bonneton-Tabariès, F. et Lambert-Libert A. p118). « Les lésions osseuses, cancéreuses et zones inflammatoires peuvent aussi être des contre-indications » (Thibault et Fournival, p105). Il est primordial pour l’infirmier de regarder les antécédents du patient au préalable comme « [la peau fragile des personnes sous cortisone] », « l’hyper-sensibilité [comme] « le zona ou la goutte » ou l’hypo-sensibilité comme les diabétiques […] afin de ne pas être vecteur de douleur » (Bonneton-Tabariès, F. et Lambert-Libert A. p130).

b) Le toucher-massage est-il toujours agréable ?

Le toucher-massage étant lié à l’intimité, à la réciprocité entre le patient et l’infirmier, est-il toujours agréable pour le soigné ? et pour le soignant ?

Le toucher, étant une « sensation », il « peut être […] très agréable, ou au contraire très désagréable, voire inacceptable.

En effet, « dans la relation à l’autre, le toucher peut provoquer une répulsion, représenter une agression » (Bonneton-Tabariès, F. et Lambert-Libert A. p19). « Beaucoup de [soignés] ne sont pas touchés dans leur vie quotidienne, […] ce n’est qu’en raison de leur pathologie qu’ils entrent en relation avec leur corps. Dès qu’on les touche, beaucoup de choses remontent, des non-dits, de vieilles images ou des peurs d’enfants ».

Ce toucher peut être un rappel de certaines violences vécues : « coups, blessures, brulures » et à l’extrême « viol » (Bonneton-Tabariès, F. et Lambert-Libert A. p33). C’est pourquoi en tant que soignant, il est primordial de proposer le soin et d’avoir un consentement au préalable. De plus, « il faut vraiment que le soignant qui le pratique en ait envie sinon l’effet sera zéro ou même pire, […] s’il n’y a pas derrière une attention de bienveillance, faut pas le faire » (ide 4). En effet, Il faut qu’il en ait réellement envie, soit motivé pour le soin car sinon le soigné peut le ressentir et l’effet ne sera pas le même : inefficacité ou effets néfastes : le soignant peut par exemple transmettre son stress… Ce phénomène s’explique par la propriété de réciprocité du toucher-massage : si « en tant que soignants on le fait un peu tendu, à reculons, le patient, il va le sentir et là l’effet à mon avis il peut être inverse » (ide 4).

Cependant, le toucher-massage peut aussi avoir un impact négatif chez les soignants. Certaines personnes […] [peuvent] nous inspirer de la gêne, du dégout, voire une certaine peur] (Bonneton-Tabariès, F. et Lambert-Libert A. 2013, p13). « Le toucher-massage fai[sant] remonter des émotions chez le patient […] [peut] [nous] troubler, [nous] envahir notamment si elles [nous] renvoient à [notre] propre histoire, à une certaine précarité qui fait peur [comme] la vieillesse de [nos] grands parents, […] la maladie d’un proche » (Bonneton-Tabariès, F. et Lambert-Libert A. p111). Le soignant doit donc « bien se connaitre » : « connaitre ses réactions, ses forces et ses limites » tout en « restant soit même » afin de « se protéger, de ne pas se laisser troubler » (Bonneton-Tabariès, F. et Lambert-Libert A. p64). Comme le disent si bien Bonneton-Tabariès, F. et Lambert-Libert A, « toucher, c’est s’engager, s’impliquer dans la relation avec l’autre ». « En effet, car [notre] main qui touche reflète [nos] sentiments profonds et ne peut tromper comme la parole ». L’ide 4 nous explique que pour elle c’est un frein : « c’est vraiment un soin qui est particulier, on est vraiment dans l’intimité de la personne et on se livre autant que la personne se livre et faut vraiment être prête à ça ».

c) Y a-t-il des limites culturelles au toucher-massage ?

La culture de la personne soignée est-elle un frein à l’utilisation du toucher-massage ?

Bonneton-Tabariès et A. Lambert-Libert disent que « les réactions au toucher sont très influencées par [le] milieu social et [la] culture » (2013, p29). « La localisation du contact selon la culture ou les tabous personnels […] peut poser problème » (Bonneton-Tabariès, F. et Lambert-Libert A. p57). « Selon leur localisation, certains gestes […] sont familiers et habituels et d’autres beaucoup moins » en rapport avec « l’intime » (Bonneton-Tabariès, F. et Lambert-Libert A. p57).

L’infirmière 2 confirme cette idée : « il y a des gens pudiques, il y a des gens qui sont pas du tout dedans, qui n’aiment pas qu’on les touche ». En effet, « le sens du toucher varie selon les individus mais est aussi largement influencé et plus ou moins développé selon les habitudes sociales et les identités culturelles » (F. Bonneton-Tabariès et A. Lambert-Libert p65). Par exemple, au « Brésil », les personnes se retrouvent avec de « grandes accolades », « les [mamans] massent leurs enfants dans les cars » et « une vieille dame peut s’approcher de vous pour vous caresser les cheveux et vous bénir en vous souhaitant paix et réussite ». Alors qu’en « Egypte », les hommes et les femmes ne se mêlent pas ». En « Chine, tout le monde masse tout le monde : amis, parents, collègues » (F. Bonneton-Tabariès et A. Lambert-Libert p66). Aujourd’hui, « les différences culturelles restent profondément ancrées, enracinées dans l’histoire des peuples et des sociétés » (F. Bonneton-Tabariès et A. Lambert-Libert p66). « On est pas du tout dans le toucher en Europe, on est moins tactile » (ide 4). A ce titre, faut-il considérer que tenir compte de la réalité de la personne que l’on soigne : sexe, religion, culture fait partie intégrante de la technique du soin ?

Au contraire, pour l’infirmière 1, il n’y a pas de contrainte culturelle car « c’est la manière de l’amener dans la relation », tant que « le cadre est posé, il n’y a pas de limite dans la mesure où c’est un soin qui reste professionnel ».

d) Y a-t-il des contraintes personnelles, institutionnelles ou organisationnelles ?

L’infirmière 1 nous explique qu’il y a des contraintes organisationnelles : « il n’y a pas du tout de temps fléchés, il y a une surcharge de travail et du coup les soignants n’ont pas la possibilité de s’y investir, […] n’ont pas les solutions pour le faire ». Tout ça entraine un manque de temps ou l’absence de temps possible. Parfois, « l’encadrement » n’est pas soutenant, « l’équipe médicale », « l’institution de manière globale » et même les « collègues » qui peuvent juger et penser que nous perdons du temps en pratiquant ce soin.

Sur le plan personnel, certaines infirmières se plaignent de manque de formation (ide 4). L’infirmière 1 explique qu’il y a aussi des moments qui sont favorables dans notre exercice professionnel et personnel et qu’au contraire il y a des « périodes, […] on veut juste venir au travail et puis appliquer les prescriptions médicales et repartir », où l’on est moins motivé et disponible. Aussi, faut être convaincu de l’intérêt du soin car comme l’explique l’infirmière 2, ça va plus vite de donner un anxiolytique ou un antalgique que de faire un toucher-massage.

Extrait « Toucher-masser pour soulager la douleur cancéreuse » DOSSO Amélie Avril 2017

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