Transferts et médiations corporelles : comment passer de la sensation à la représentation ?

Agnès Molard

Dans Cliniques 2016/2 (N° 12), pages 42 à 62

« Mon corps est aussi le corps de violette. L’odeur de Violette est comme ma deuxième peau. Mon corps est aussi le corps de papa, le corps de Dodo, le corps de Manès… Notre corps est aussi le corps des Autres ».

(Pennac, 2012, p. 42)

Voici une réflexion à partir d’un travail individuel de médiation corporelle d’inspiration psychanalytique auprès d’adolescentes hospitalisées pour des troubles du comportement alimentaire dans le pôle adolescent d’une clinique psychiatrique.

L’enveloppe institutionnelle

La vie psychique et la réalité corporelle des soignants de l’institution forment le corps institutionnel. Celui-ci est constitué par sa pratique, dans ses dires, ses choix éthiques, sa réflexion commune, mais aussi au travers des actions, des interventions contre-transférentielles de chacun de ses participants ou de l’ensemble du groupe.

L’enveloppe institutionnelle tissée par les liens entre les soignants permet aux patients une contenance nécessaire à leurs remaniements psychiques surtout lorsqu’il s’agit d’accueillir des personnes avec des pathologies narcissiques. Si cette enveloppe est suffisamment sécurisante, fiable et souple, les patients peuvent s’appuyer sur ce qu’ils vivent dans le cadre de la relation transférentielle avec l’un des membres de l’équipe pour continuer leur chemin vers la mise en sens de leurs symptômes avec d’autres membres de l’équipe soignante. Cette diffraction du transfert peut être moins menaçante que ce qui pourrait être redouté dans un travail individuel hors institution. Elle permet aussi de désamorcer l’instauration de clivages tout en permettant des expressions d’affects différenciés et des niveaux de symbolisation divers avec un thérapeute ou un autre. Le corps institutionnel vient étayer l’image du corps défaillante des patients. Pour J. Bleger dans « Psychanalyse du cadre psychanalytique », le cadre psychanalytique, sur le modèle de la mère va représenter « le non-moi de l’individu », il est « la partie la plus régressive, la plus psychotique des patients. (Cela va pour tous les types de patients). Le cadre est une présence permanente comme le sont les parents pour l’enfant. Sans eux aucun développement possible du moi » (Bleger, 1979, p. 269). Cela n’est envisageable que si l’équipe soignante résiste à son tour aux clivages favorisés par les projections des patients. P. Delion souligne dans son article « Clivage(s), psychopathologie et institutions » que : « Les membres de la constellation transférentielle (ainsi nommée par J. Oury) sont amenés à se réunir régulièrement pour parler de leur contre-transfert individuel de façon suffisamment tranquille quelles qu’en soient les expressions… Dépassant son point de vue personnel, voire narcissique, chacun fait l’expérience qu’il ne détient pas la vérité du patient mais que cette vérité est plurielle, variable, en fonction de chaque personne qui la raconte… La constellation transférentielle en rassemblant les points de vue épars de soignants plus solidement authentiques constitue dès lors une fonction contenante et/ou une fonction de pare-excitation collective de l’enfant » (Delion, 2015, p. 50).

Ce propos s’illustrera de vignettes cliniques afin de souligner l’articulation du travail à médiation corporelle d’inspiration psychanalytique avec celui des psychothérapies classiques reposant sur l’élaboration verbale (travail avec les médecins psychanalystes et les psychologues), mais aussi avec l’ensemble des soignants et animateurs de groupes thérapeutiques en institution.

Le choix de la médiation

Ce travail pratiqué en clinique sur indication médicale s’adresse à des adolescentes présentant des troubles du comportement alimentaire. Il leur est proposé une approche par le massage ou la relaxation psychanalytique Sapir. Ces deux approches ont pour but d’amener les jeunes filles à retrouver un lien entre leur réalité psychique et corporelle, articuler le corps réel, imaginaire et symbolique. Il s’agit là de prendre en compte, dans la relation à l’autre, un corps pris dans un fonctionnement opératoire, clivé parfois du fonctionnement psychique et de tout lien aux émotions. Le lien transférentiel est élaboré dans un registre œdipien, comme nous le verrons dans les deux vignettes proposées, mais aussi parfois dans un registre prégénital du côté des symbolisations primaires, les fantasmes ou traumatismes œdipiens venant parfois masquer des fragilités narcissiques souvent en rapport avec des perturbations des interactions précoces.

C’est lors des premiers entretiens avec les jeunes que se fait le choix de la médiation à utiliser. Les questions du toucher et du cadre sont primordiales car l’intention n’est pas de provoquer une excitation, ni d’être source d’angoisse et/ou de fantasmes incestueux, même s’il est inévitable que ce type de souvenirs ou de fantasmes inconscients soient actualisés dans la séance. Le massage aide à constituer cette première enveloppe corporelle permettant de distinguer soi de l’autre et contribuant à l’acceptation d’une différenciation, puis d’une première séparation symbolique possible. Ainsi Clémentine me dira après le massage : « Vous allez trouver ça drôle mais pendant que vous me massiez le dos, je pensais à un bébé dans le ventre de sa mère, vous savez, appuyé contre elle ; quand vous avez laissé vos mains sans bouger sur mon dos, je me disais pourvu qu’elle ne parte pas ; il a bien fallu pourtant… Au fond c’est comme si le bébé naissait… » Le contact des mains sur le dos de Clémentine semble avoir favorisé l’émergence d’images très archaïques de bébé in utero, mais aussi de naissance et donc de première séparation.

Le massage peut, au début des rencontres, être pratiqué sur les vêtements ou même par l’intermédiaire d’une balle. Il peut même être pratiqué par la jeune fille elle-même avant d’être proposé sur peau nue avec du lait corporel ou de l’huile végétale contenant des huiles essentielles. Les régions massées sont essentiellement le dos, les bras et les mains, les jambes et les pieds. Il peut y avoir la partie antérieure du corps au niveau de l’abdomen et du plexus si cela correspond à un besoin que je peux entendre et reconnaître comme n’étant pas une exhibition ou une recherche d’excitation corporelle.

L’impossible intimité

La demande de Christelle, 20 ans, dès la deuxième séance, de masser son ventre, m’intrigue. Son corps est décharné mais reste extrêmement musclé ; elle me fait penser aux mannequins écorchés, exhibés dans les salles de science. Elle n’est qu’os et muscles. Elle semble tirer de cette exhibition une extrême jouissance. Dois-je accepter de répondre à cette demande d’être vue ainsi, et risquer de faire monter une excitation insoutenable pour elle, ou puis-je la regarder autrement, comme une jeune fille en quête de reconnaissance de sa souffrance et n’ayant pas d’autre moyen de l’exprimer ? Je suis très partagée dans mes sentiments à l’égard de Christelle ; cette attitude très exhibitionniste d’un corps phallique m’irrite, mais en même temps je suis touchée par ses yeux perdus d’oiseau affolé, ses mots racontant son bégaiement et son manque de confiance en elle quand elle était enfant. Petite, elle était rêveuse, on lui reprochait toujours de prendre son temps et d’être en décalage avec les autres. On l’appelait « mademoiselle dans la lune ». À la préadolescence, elle se cousait des robes et aimait se regarder dans le miroir couverte de ses créations. Je suis une nouvelle fois touchée par sa sincérité quand elle dit que pour sentir de l’assurance et refuser de prendre du poids à la puberté, elle s’est mise à vivre uniquement au travers du plaisir de contrôler son alimentation et son poids jusqu’à en tirer une immense jouissance. Elle voudrait lâcher cette préoccupation obsessionnelle de contrôler son corps et le vide de son ventre. Je ressens une souffrance extrême de sa part à vivre cet enfermement dans ce contrôle. Dans la journée, Christelle n’a pas une minute sans bouger, elle fait de la danse, marche, fait de la gym, ne s’autorise aucun répit. Même dans son lit, allongée, elle passe son temps à faire des exercices physiques ou à contracter son ventre. Il faut mériter le plaisir ! Mais le plaisir fait peur. Lors de notre rencontre, elle semble prise dans une spirale infernale, frôlant sans cesse la mort. J’ai accepté de lui masser le ventre, de la regarder autrement qu’avec l’horreur qu’elle imagine inspirer. Derrière l’écorchée, j’ai pu voir la petite fille sans enveloppe avec des formes signant une puberté à peine naissante. Lors de notre dernier massage avant sa sortie, Christelle, refaisant son parcours, me dira : « Maintenant je sens que j’ai plus de pudeur, c’est mieux comme ça. »

  1. Horvilleur, femme rabbin, dans son livre En tenue d’Ève. Féminin, pudeur et judaïsme souligne que « la pudeur est ce qui est censé protéger la relation d’une approche trop brutale. Au sein du couple ou de la famille, là où la tentation de faire un est la plus forte, elle est la distance garante du lien entre les hommes et les générations » (Horvilleur, 2014, p. 90). Christelle était prise comme confidente par ses deux parents à propos de leur histoire de couple.

Un corps délibidinalisé, protection contre l’effraction pubertaire

À l’adolescence, la jeune fille est souvent débordée par la poussée pubertaire. Ses représentations du corps sont en constants remaniements et bouleversements. Dans un moment où se rejouent les mouvements œdipiens, la maturité sexuelle vient parfois faire effraction dans la construction identitaire, le corps réel venant devancer la maturité affective. L’infantile resurgit comme protection et frein à cet emballement de la sexualité ; il en est ainsi du retour à des mouvements pulsionnels oraux dans le fonctionnement boulimique-anorexique. Mais cette protection peut aller jusqu’à une délibidinisation ou désérogénisation du corps afin de faire taire ce surcroît d’excitation trop angoissant et ne trouvant aucune issue. Le réel du corps est alors investi dans la maîtrise du mécanisme remplir-vider comme si le corps était un récipient désaffecté et non un réceptacle ou contenant de leur vie émotionnelle et psychique. Les aménorrhées liées à ce mouvement de régression suppriment toute sécrétion du corps liée au féminin. Le corps se décharne en même temps qu’il se clive du fonctionnement psychique jusqu’à ce que ces jeunes filles disent : « Je ne sens plus mon corps » ou « Ce que je sens, je ne peux pas dire que c’est moi. »

Retrouver un corps affecté …

Il s’agit à travers ces deux médiations, relaxation et massage, de proposer une attention particulière à l’écoute des sensations corporelles, points de départ et d’articulation avec la vie psychique. Ces sensations pourront être reliées à des éprouvés corporels ; éprouvés qui seront vécus dans l’ici et maintenant de la séance mais aussi reliés à l’histoire du sujet. Elles ne sont pas entendues seulement comme des effets directs des inductions ou touchers du thérapeute. Elles sont au contraire reprises à leur compte par les patients dans « leur chaîne associative » (Sorlin, 2005, p. 73). Il faut bien mettre en évidence l’engagement corporel du thérapeute dans la relation transférentielle : « Ainsi cette rencontre avec un signifiant venu de l’Autre avec A (à entendre ici comme le discours de l’inconscient) vient réactiver le corps dans son érogénéité, en ces lieux investis de plaisir ou de déplaisir, que dans son histoire, sa relation aux autres est venue élire » (ibid.).

Ce circuit pulsionnel en boucle est à rapprocher du dialogue tonico-émotionnel (Ajuriaguerra, 1977) établi entre l’enfant et l’adulte qui le porte. Dans ce dialogue, le corps du bébé touché et mobilisé par l’adulte est érogénéisé dans une relation affective circulaire passant par les sensations musculaires, le contact peau à peau et le holding (Winnicott, 1975) de l’environnement maternel. Ce dialogue tonico-émotionnel qui se noue entre l’environnement maternel et l’infans est inclus dans l’accompagnement par le regard et la parole. Ainsi se constitue aussi son enveloppe corporelle, lieu d’hébergement de sa vie psychique en construction. Le massage et la relaxation proposés viennent mobiliser la personne à travers ce dialogue tonique et ils favorisent aussi un retour aux sensations comme support de l’articulation entre le corps et la psyché dans l’objectif d’une appropriation subjective.

La place du tiers symbolique dans la thérapie à médiation corporelle

L’indication par le médecin, le cadre bien précis des séances, la place de l’institution, le rôle des réunions des soignants et la formation du thérapeute, sa référence à la théorie, servent de tiers à la relation thérapeutique. Ce contexte permet que le toucher ne soit pas proposé comme un passage à l’acte intrusif et incestuel, mais comme un moyen d’entrer en contact avec le patient par ce qui est pour lui le lieu d’expression de son mal-être et qu’il donne à voir autour de lui sans pouvoir donner du sens à ce qui le traverse.

L’absence d’enveloppe et l’agrippement aux sensations dures

La passivité corporelle et l’attention aux sensations corporelles proposées en relaxation sont souvent des sources d’angoisse lors des débuts d’hospitalisation. Les jeunes filles ont beaucoup de difficultés à quitter leur activité physique intensive et à imaginer lâcher leur agrippement musculaire. Elles ne peuvent supporter cet état dans lequel passivité et féminité se trouvent associées. Leur amaigrissement leur fait sentir leur corps uniquement par l’hypertonie musculaire et leur ossature, des sensations dures qui les rassurent et leur permettent de faire face aux autres et aux risques d’effondrement. L’enveloppe corporelle n’est plus investie comme telle, le corps ayant perdu tout aspect charnu ou charnel, la peau devenant dépourvue de ses composantes d’élasticité, de protection, d’interface, de pare-excitation. Elle en devient même transparente, les mots étant parfois vécus comme pénétrants et intrusifs.

Cette transparence de la peau qui rend le corps plus à nu, moins protégé du regard de l’autre n’est pas sans évoquer le petit enfant non encore conscient de la différence des sexes et qui ne ressent pas le besoin de protéger sa nudité du regard de l’autre. D. Horvilleur aborde cette question de la transparence. Elle évoque dans les textes religieux une signification de la transparence d’Adam et Ève au jardin d’Éden comme la non-conscience de la séparation et de la différence des sexes avant de découvrir leur nudité révélée par la faute originelle. « Dorénavant […] l’homme […] sait qu’il est nu et que le regard de l’autre peut se poser sur lui » (Horvilleur, 2014, p. 71).

Le toucher dans la relation thérapeutique

Le toucher peut permettre une réappropriation de cette enveloppe corporelle et de sa fonction d’interface entre soi et l’autre ; il permet aussi une réunification du schéma corporel et peut avoir une fonction d’apaisement de l’excitation interne. Il fait référence aux premières relations de l’infans avec son environnement maternel, mais aussi aux différentes étapes de la construction du sujet dans son rapport intime à l’autre. Il peut réveiller des sensations et des éprouvés douloureux et traumatiques, mais ceux-ci seront repris dans le travail d’élaboration avec le thérapeute corporel ou dans les autres lieux d’élaboration psychique proposés par l’institution. C’est ce que je vais développer dans les vignettes cliniques suivantes.

Le massage dans le cadre de la relation transférentielle

Après ces réflexions, soulignons que le massage est souvent la médiation proposée en premier lieu aux jeunes filles pour ensuite alterner avec la relaxation et continuer parfois uniquement par la relaxation. Le massage est de type enveloppant, différencié en fonction des séances. Il est pris dans une dimension transférentielle et articulé au dialogue tonique ressenti du côté du thérapeute. Il est d’abord une prise de contact par un toucher immobile accompagnant la respiration. Puis, il peut être plus ou moins appuyé, il peut effleurer, tapoter, appliquer des pressions à certains moments et endroits, il peut se vouloir apaisant ou stimulant. Il a toujours pour effet d’être enveloppant et unifiant. Quelle que soit l’intention du thérapeute, il ne sera pas pour autant reçu comme tel par la personne massée. Le soignant doit être particulièrement à l’écoute de ses propres éprouvés afin de pouvoir être dans une identification possible à ceux du patient. La rencontre entre les ressentis du thérapeute et ceux du patient sont des éléments importants pour la compréhension des mouvements psychiques de celui-ci. Les effets transférentiels sont liés non seulement à ce qui se passe dans la séance en lien avec l’histoire de chacun mais aussi à ce qui se joue en parallèle avec les autres thérapeutes. Après le massage, les jeunes filles sont invitées si elles le souhaitent, à évoquer leurs ressentis et associations libres à partir de ceux-ci. Elles n’utilisent pas toujours ce temps ou évoquent parfois des pensées qui ne semblent apparemment pas directement liées à l’expérience du massage dans leur discours manifeste.

L’histoire de Virginie sans histoire

Virginie a 20 ans, réussit bien dans ses études universitaires, décrit de très bonnes relations avec ses parents. Elle avait un amoureux qui vient de la quitter et elle pense que c’est en grande partie à cause de son anorexie. Sa vie semble sans histoire. Elle n’a jamais voulu faire de régime pour perdre du poids, a toujours été grande et mince même si elle se trouvait « quand même parfois un peu trop grosse ». Elle relie sa restriction alimentaire, relativement récente et installée insidieusement, à un régime mis en place pour une constipation chronique survenue après un changement de mode alimentaire lorsqu’elle a commencé à prendre ses repas au restaurant universitaire. Elle se trouve vraiment trop maigre actuellement et souhaite retrouver rapidement son ancien poids. Elle ne semble pas présenter de dysmorphophobie. À la clinique, elle se sent très bien et très entourée. Je trouve Virginie très sympathique, souriante, pleine de bonne volonté, mais je suis très sceptique, comme mes collègues, sur sa vie si lisse et si plaisante et sans aucune conflictualité. Je lui propose des massages qu’elle accepte très facilement. Dès le premier massage du dos, elle dit s’être laissée aller presque jusqu’à l’endormissement. Elle a senti du bien-être apporté par la chaleur des mains, chaleur qu’elle associe aux plus beaux moments de sa vie. La prise de poids évolue bien, elle l’accepte facilement, mais rien ne semble mis au travail. Pendant les massages, des images éclairées par le soleil lui viennent à l’esprit. Elle ressent de l’apaisement mais aussi du dynamisme. Du côté de l’équipe, nous commençons à ne plus attendre grand-chose du travail de psychothérapie. Nous avons l’impression que Virginie restera lisse jusqu’à sa sortie, sans nous laisser comprendre ce qui l’a amenée jusque-là.

Se protéger de l’autre

Son médecin psychiatre nous dira en réunion, que lors d’un entretien familial, il a eu l’impression d’avoir été vécu transférentiellement comme persécuteur par Virginie et ses parents. Au début d’une séance, avant le massage, elle me raconte que ceux-ci lui ont rappelé un évènement particulier qu’elle a pu mettre en relation avec son anorexie. Sa mère s’est fait voler son sac à main dans sa voiture alors qu’elle était au volant. Virginie sera très marquée par ce vol avec intrusion dans l’espace de la voiture, qui ne lui est pourtant pas directement arrivé. La constipation aurait débuté à cette même période. Quelque temps après, je ressens lors du massage que son corps a changé avec la prise de poids, sa peau est plus souple, mes mains glissent et enveloppent mieux son corps, je me sens particulièrement présente, mobilisée psychiquement et corporellement en la massant. Je ne fais bien sûr aucun commentaire à Virginie. En fin de séance, elle me dira que pendant le massage, elle n’a pas du tout été attentive à mes mains sur son dos, maintenant qu’elle n’a plus de tensions corporelles, le massage ne lui « fait » plus rien. C’est devenu un peu comme lors d’un massage chez l’esthéticienne. Elle me demande d’expérimenter la relaxation la prochaine fois. Elle pense que cela pourrait lui faire du bien car elle se sent encore stressée parfois. J’analyse pour moi-même, une mise à distance de sa part au moment où je perçois un investissement plus important de la mienne. Je m’interroge sur la pertinence d’accéder à sa demande de relaxation, et puis je ressens la nécessité d’être assez malléable en restant dans le cadre de mon travail avec les deux approches possibles. La séance suivante, elle me rappelle sa demande de relaxation à laquelle je réponds positivement. J’induis sur le thème des appuis de son corps sur le matelas, se laisser porter, le relâchement musculaire et articulaire…

Le retour du refoulement de l’affect du souvenir

Elle évoque à la fin de la séance une sensation de flottement, comme lors d’une bonne fatigue ; elle fait un lien avec un souvenir qui a ressurgi après la dernière séance sur le trajet de sa consultation avec son médecin psychiatre, souvenir qu’elle n’avait pas oublié mais qui est revenu avec une intensité particulière, accompagné d’une très forte angoisse. À l’âge de 12 ans, alors qu’elle sortait de l’école, un homme l’a abordée et suivie dans la rue, essayant de la toucher. Elle est arrivée à lui échapper, mais après une terrible peur d’être agressée. En le racontant au psychiatre, elle a les jambes flageolantes, le cœur qui bat, une émotion très forte, beaucoup d’angoisse, puis une fatigue extrême. Dans un deuxième temps, elle a eu l’impression de ressentir une fatigue réparatrice comme après cette séance de relaxation. Je lui évoque alors mon ressenti à la fin de la dernière séance sur son désinvestissement du massage alors que je suis particulièrement attentive à elle. Elle est de nouveau très bouleversée et dit ne jamais avoir pensé pouvoir arriver à la reviviscence d’un tel vécu. Par la suite, elle dira à sa psychologue qu’elle a eu l’impression « d’avoir débloqué et évacué un truc énorme ». Ce qui lui permettra de faire le lien entre sa constipation et la répression des affects. Le souvenir était encore là mais il était désaffecté. C’est l’émotion liée au souvenir qui était refoulée et non le souvenir lui-même et c’est la condensation (ou collusion) de ce qui s’est produit dans ces deux différents lieux de transfert qui a pu lever ce refoulement. C’est lorsque mon toucher s’est modifié que le refoulement n’a plus opéré ; il y a eu une nouvelle forme de protection par le déni mis en place pendant le massage mais qui semble lui-même avoir cédé sur le chemin du bureau du médecin en lien avec ce qu’elle vivait dans la relation transférentielle avec lui. Dans l’après-coup, ma révélation sur mon ressenti contre-transférentiel lui a permis ensuite de comprendre son mécanisme de mise à distance : « Elle se protège quand elle se sent trop investie par une autre personne… » Cette prise de conscience fera à nouveau revenir une émotion très forte. L’émergence de la première émotion manifestant la levée du clivage entre le corps et les affects a pu devenir le support d’un travail psychique à partir des représentations fantasmatiques inconscientes et autour de la question du désir. Travail qui se fera peut-être à l’extérieur car Virginie quittera assez rapidement l’institution après cette reviviscence de trauma.

La relaxation psychanalytique Sapir

La relaxation psychanalytique Sapir, psychothérapie à médiation corporelle, n’a pas pour objectif la détente. « La relaxation est proposée comme une mise à l’écoute du corps et n’est en effet qu’un moyen, au même titre que le divan, pour faciliter le lâcher des défenses et la circulation psychique qui permet un travail analytique » (Biard et coll., 2010, p. 75). Elle est pratiquée par des thérapeutes psychanalystes ou analysés qui tiennent compte du discours latent des patients à partir de leur expérience sensorielle dans le setting de la cure de relaxation. Ce processus thérapeutique passe par un ancrage corporel, une appropriation du corps, une inscription du sujet dans son histoire à partir du lien entre les sensations, les affects, les fantasmes, la représentation et l’élaboration de la dimension symbolique. Il se met en place dans la relation transféro-contre-transférentielle où le thérapeute est dans une position active à l’égard du patient par son engagement corporel dans le toucher et les inductions verbales. Le thérapeute n’interroge pas le relaxant sur son état de détente pendant la relaxation mais celui-ci est invité à parler selon les règles de l’association libre comme en psychanalyse.

Les inductions verbales utilisées par le thérapeute sont des propositions de mise à l’écoute de ses sensations corporelles et de ses éprouvés. Ensuite, il vient toucher la personne au niveau du buste, des bras, des jambes ou des extrémités du corps : la tête, les mains ou les pieds. Ces touchers peuvent être de qualités différentes, ils peuvent être par exemple des contacts, des pressions, des glissés des mains, des mobilisations, des accompagnements de la respiration, des portés… Ils peuvent être aussi absents. Ces inductions verbales et ces touchers ne sont pas codifiés, ils prennent forme dans la dimension contre-transférentielle du thérapeute à l’égard du patient. Le contenu des premiers entretiens et les signaux corporels reçus par le thérapeute vont l’influencer dans sa première approche du patient en relaxation. Mais les premières inductions verbales et tactiles ont toujours pour but de mettre en confiance le patient afin qu’il puisse progressivement s’appuyer sur le cadre et sur la relation avec le thérapeute.

Après le temps des inductions, le thérapeute laisse le patient seul à l’écoute de son corps, sans intervenir. Il proposera ensuite un temps de reprise où le patient est invité à reprendre contact avec son entourage, à retrouver son tonus musculaire, puis un temps de parole sur son expérience, temps qu’il pourra utiliser ou non. Les dires du patient lors de ce temps de parole et ses réactions posturales et émotionnelles dans la situation de passivité corporelle, seront pour le thérapeute des éléments de compréhension de l’état affectif du relaxant et de ses fantasmes inconscients pris dans la dimension transférentielle. Ils pourront être repris par le thérapeute sous forme d’interprétation mais ils pourront aussi servir de support à de nouvelles inductions verbales et à une forme particulière de toucher, plus accessibles et plus contenants, qui peuvent prendre alors valeur d’interprétation moins agressive. « Pour D.W. Winnicott, l’interprétation peut devenir dommageable et empêcher le processus de guérison si elle intervient à un moment où ce n’est pas cela que le patient attend » (Abella, 2016, p. 32).

Le cheminement de Nadine

Nous allons cheminer avec Nadine tout au long de son travail corporel et repérer ce qui a pu servir de support au travail d’élaboration psychique en séance, mais aussi avec les autres thérapeutes. Lorsque je fais connaissance de Nadine, elle a 22 ans. Elle est hospitalisée depuis un mois et a déjà eu un certain nombre d’entretiens avec ma collègue psychologue. Elle est ce jour-là contrariée, irritée par les contraintes de l’hospitalisation et a l’impression d’être tout le temps surveillée. Je la sens sur ses gardes et particulièrement rigide. La fois suivante, elle s’excusera de son comportement inhabituel pour elle et affichera jusqu’à sa sortie, à quelques exceptions près, une réelle compliance. Elle témoignera au cours de son soin de beaucoup de finesse et de capacité de mobilisation psychique, mais aussi d’un besoin de séduire à peine masqué. À ce moment-là, elle ne supporte encore pas de prendre du poids, ne se voit absolument pas maigre alors que son imc [1] est à 14 et elle doit, dit-elle, « lutter pour accepter toute cette quantité de nourriture qu’on veut lui faire ingurgiter ». Pourtant c’est elle qui a choisi de se faire hospitaliser, elle veut y arriver.

Une trop grande proximité

En psychothérapie verbale avec son psychiatre et sa psychologue, elle a déjà mis en évidence sa difficulté à se séparer, la surprotection de son père et la difficulté de celui-ci à la voir s’émanciper, la trop grande proximité de sa relation à sa mère qui semble avoir aussi un comportement restrictif par rapport à la nourriture. Nadine a une sœur un peu plus jeune avec qui elle dit avoir une excellente entente.

Dès notre première rencontre, elle énonce sa difficulté à supporter d’être touchée. Il me faudra être attentive à ne pas être vécue comme intrusive lors des séances. Je lui propose d’alterner massages et relaxation en commençant par la relaxation, puis des automassages. Lors de la première séance de relaxation, Nadine dit qu’elle se sent figée, collée au matelas. Lui revient alors la sensation des crises de spasmophilie à l’adolescence. Nous observons ici la reviviscence d’une perception ancienne. Je lui propose de mobiliser elle-même son corps pour s’assurer qu’elle n’est pas figée, puis de se sentir portée par le matelas. Je mobilise ses avant-bras dans un second temps très doucement et dans un mouvement très limité, en les portant. Lors du temps de parole, elle dira avoir eu besoin de se concentrer sur une autre partie de son corps pour pouvoir me laisser mobiliser ses avant-bras. Nadine me rapporte, au début d’une séance, une expérience qui l’a beaucoup émue dans le cadre d’un travail à médiation corporelle en groupe proposé par une collègue. Elle a expérimenté un toucher réciproque avec une autre jeune fille très attentive à ses réactions émotionnelles et très délicate dans son approche. Elle ne peut encore qualifier son ressenti mais elle en a perçu l’importance et l’impact émotionnel. Elle me demande donc de lui masser le dos sur ses vêtements sans passer par la pratique de l’automassage que nous avions prévue. Cette expérience avec l’une de ses pairs en groupe dans un autre lieu de l’institution lui permet donc de se lancer avec moins d’inquiétude dans la relation individuelle avec moi.

La crainte du toucher, signe de l’évitement des mouvements pulsionnels

Nadine se rend compte alors que les zones du corps où elle ressent le plus de bienfait ou de bien-être sont celles où elle appréhende le plus d’être touchée. Cela lui permettra d’aborder en thérapie verbale la crainte de ses propres élans pulsionnels. Se succèderont ensuite des séances de massage et de relaxation avec des résistances, des difficultés à être présente à ce qu’elle ressent, surtout lors des moments de relaxation sans induction. Il lui est difficile de se laisser aller à la détente qu’elle associe à la mollesse et à la dépression comme sa tante. Elle évoque l’anorexie comme une éventuelle lutte contre la dépression. Elle associe sur son besoin de toujours se donner de nouveaux challenges, d’être brillante scolairement pour répondre à ce qu’elle suppose être le désir de ses parents. Elle réalise qu’elle n’a pas laissé ses parents accéder à une part d’elle-même : celle qui a envie de sortir avec des amis, de s’autonomiser, de vivre une vie de jeune fille. Cette coupure d’une part de sa réalité devenait insupportable.

L’idéal du Moi et le refoulement des mouvements œdipiens

Pendant les massages, elle parle beaucoup. Cela lui permet de mieux les supporter. Sa parole me met à distance, mais elle peut quand même être attentive à ses sensations corporelles. C’est rassurant de sentir ses os, elle sent qu’elle est encore maigre, cela lui sert de repère. Lorsque j’évoque la respiration pendant un temps de relaxation, Nadine éprouve le besoin de contrôler son inspiration. Le percevant, je continue mon induction sur l’air qui entre et sort de son corps, sur le fait que « ça » respire en elle. Elle fera ensuite le parallèle avec le besoin de contrôle de l’alimentation dont elle bloque l’entrée. Elle se met en concurrence avec sa mère, qu’elle idéalise, et à qui elle s’identifie mais qui a aussi des problèmes avec l’alimentation. Elle dira : « À force d’idéaliser les autres, on n’existe plus pour soi mais pour correspondre à l’image de ceux qu’on a idéalisés. » On peut ici faire référence aux écrits de S. Freud sur l’idéal du moi : « L’idéal du moi fait tous ses efforts pour le refoulement du complexe d’Œdipe […] Quand le moi adopte les traits de l’objet, il s’impose pour ainsi dire au ça comme objet d’amour, il cherche à remplacer pour lui ce qu’il a perdu en disant : “Tu peux m’aimer moi aussi, vois comme je ressemble à l’objet” » (Freud, 1923 p. 269).

De la régression à l’acceptation de la féminité

Mais Nadine se déprime : c’est trop long, il y a trop de choses qui se bousculent en elle. Elle se sent trop remuée. Temps régressif, elle pleure pendant le massage et s’en étonne par la suite. Elle en est gênée. D’habitude, elle n’arrive pas à pleurer, mais elle avoue que cela lui a fait du bien. Elle évoque des massages que sa mère lui prodiguait avant de dormir quand elle était petite qui l’apaisaient beaucoup. Nadine commence à relâcher sa maîtrise. Au bout d’un mois, elle demande à être massée sur peau nue avec du lait corporel : « L’huile, ça tâche ! » Pendant le massage elle parle de son corps, elle le compare à celui de sa sœur… Elle évoquera ensuite avec la psychologue la rivalité tout d’abord inenvisageable avec sa sœur. Le toucher en relaxation fait émerger des questions sur le difficile accès à la féminité, le corps sexué, devenu désirable mais aussi désirant, thème qui sera longuement repris par la suite avec la psychologue. Elle s’interroge sur les différences entre son corps anatomique qu’elle montre au médecin, et celui qu’elle découvre ici, corps imaginaire et symbolique. En relaxation, elle peut s’approprier les inductions verbales pour se les reformuler pendant les temps de silence où elle ne se sent plus guidée par ma voix. Elle évoque ensuite la vulnérabilité de son ventre, la crainte que je le touche, l’intime, le féminin… Le ventre trop gros, contenant les organes féminins, il faudrait qu’il soit toujours vide. Tout ce qu’elle aborde aussi en thérapie verbale mais qui s’articule au vécu corporel et prend corps dans le temps de la séance. En relaxation, elle se sent contenue par mon toucher au niveau de sa tête et de ses pieds. Évoquant un sentiment de sécurité, elle se souvient de la bulle imaginaire qu’elle se créait étant petite pour se sentir en sécurité. Beaucoup d’émotions émergent également à partir de l’induction sur la souplesse. Elle a laissé venir des images des Noëls de son enfance. Les pleurs surgissent lors de ces évocations : l’image des grands-parents maintenant décédés, la nostalgie de l’enfance disparue… Elle craint de se laisser toucher par les émotions, mais réalise qu’il y a un socle dans son enfance sur lequel elle peut s’appuyer si elle ne s’en refuse pas l’accès. À une autre séance, elle arrive en se plaignant de prendre trop régulièrement du poids, elle a peur que cela ne s’arrête jamais, son ventre est trop gros, elle voudrait atteindre un plateau. Pendant la relaxation, le toucher de la tête et des pieds lui a manqué… Elle ne sentait plus ses limites, ce qui a provoqué de l’anxiété… Je m’interroge sur ce qui pourrait déborder si elle n’avait plus de limite.

La sensation en relaxation comme formation de l’inconscient

P. Sorlin évoque « la sensation en relaxation comme une formation de l’inconscient » (2005, p. 76) au même titre que le rêve. Ici, la sensation de manque de limites est directement en lien à celle de la prise de poids, mais nous verrons par la suite qu’elle pourra l’articuler à la crainte d’un débordement pulsionnel. À la séance suivante, Nadine parle et ne laisse pas de place au travail corporel. Elle parle néanmoins de son corps, il est présent dans son discours et relié aux expériences des dernières séances : la confrontation à la réalité de son corps, la dimension symbolique et imaginaire de ses ressentis pendant les séances. Son corps est relié à son histoire, il a une histoire qui s’est tissée tout au long des séances.

Prendre corps

Au fur et à mesure de ces expériences, Nadine enrichit la palette de ses sensations. Elle sent son dos plus charnu, elle reconnaît son ambivalence, elle craint encore de prendre trop de poids, mais découvre avec bonheur « la sensation d’avoir un dos » et puis « la chair met de la distance dans le contact avec l’autre, c’est rassurant », dit-elle. En retournant dans sa chambre, elle vérifiera l’image de son dos dans le miroir. Elle semble prendre corps… Des pensées flottantes apparaissent pendant la relaxation. Nadine s’étonne de pouvoir se laisser aller aussi facilement, elle peut envisager sa sortie future. Puis il y a des alternances entre des rêveries toujours orientées vers les souvenirs infantiles, l’objet perdu et l’évocation des rapports amoureux, de la sexualité, mais aussi son malaise dans la relation avec son père. En thérapie verbale, elle prendra conscience de la crainte de ses propres sentiments œdipiens, désirs incestueux, à l’égard de son père. Elle amorcera aussi le travail de désidéalisation de ses parents.

La séparation et l’avènement du désir

C’est dans la séparation, dans la perte que peut se constituer le désir. Avec la psychologue, elle peut accepter les ressentis de haine, acceptation indispensable pour pouvoir se séparer. Lors d’un toucher des épaules, elle éprouve un sentiment d’oppression, qu’elle associe au besoin de faire respecter son espace intime. Et puis elle réalise que « trop de proximité avec les autres pourrait évincer le désir ». Elle évoque ensuite ses relations avec son ex-compagnon, puis la sortie, avec une difficulté à investir l’extérieur alors qu’elle est encore dans la clinique. À la dernière séance, elle part confiante et émue.

L’expérience du corps réel dans le lien à l’autre

Jeune fille avec des assises narcissiques suffisantes pour dépasser le clivage provisoire du moi entre corps et psyché, instauré lors de la maladie, Nadine s’est facilement saisie des perceptions sensorielles et des métaphores corporelles pour cheminer remarquablement dans les méandres de son inconscient. Mais il n’est pas seulement question de métaphore corporelle. Il s’agit aussi d’une réalité du corps vécue dans la relation à l’autre. C’est dans la perception du corps lors du massage que Nadine ressent le trop rapproché qui peut oppresser, mais c’est aussi là qu’elle prend conscience du trop de proximité qui empêche l’émergence du désir. Cette association est littéralement arrimée aux sensations vécues dans la séance. En relaxation, le toucher se fait aussi absent et c’est dans cette absence que peut se vivre le manque et la séparation.

Corps du patient, corps du thérapeute comme espace transitionnel

Le corps du patient mais aussi celui du thérapeute, engagés dans la relation transférentielle, sont tous deux les lieux de rencontre où se situent la scène de l’inconscient, espace transitionnel où la créativité de l’un et de l’autre favorisent la remise en route des processus de symbolisation. La rêverie qui a pu advenir pendant la relaxation, notamment autour de l’objet perdu, à mi-chemin entre les processus primaires et secondaires, est le témoin de la remise en route des processus d’association libre. Cette rêverie a supplanté la pensée opératoire. Nadine a pu se sentir suffisamment en confiance dans le setting de la relaxation et du massage, mais aussi avec ses différents thérapeutes et soutenue par le holding de l’équipe de soin avec qui elle a noué une véritable relation de confiance au fur et à mesure de l’hospitalisation.

La diffraction des transferts et l’assouplissement de la maîtrise

Dans l’institution, le transfert se joue donc sur différentes scènes, celle de la vie quotidienne avec l’ensemble des soignants, celle de la thérapie verbale et celle de la médiation corporelle. La diffraction des transferts permet l’assouplissement du fonctionnement de maîtrise des patientes anorexiques. La levée des clivages du Moi peut être favorisée par la mobilisation de la sensorialité, des empreintes sensorielles et de la chaîne associative corporelle (Konicheckis, 2002), mais aussi grâce à la constellation transférentielle tissée dans l’institution. « La sensorialité pure est difficilement tolérable s’il lui manque de la signification psychique. Pour être assimilable par le psychisme, le quantitatif des sensations doit être accompagné et transformé par le qualitatif des représentations. Elles ne peuvent pas être tolérées dans un état brut » (ibid., p. 137). Ce qui prend corps dans le cadre de la thérapie à médiation corporelle peut continuer de prendre sens et de s’élaborer avec les autres soignants mais ce qui est évoqué par ailleurs peut prendre corps et sens à travers la médiation corporelle.

Notes

  • [1] Indice de masse corporelle qui est une grandeur qui permet d’estimer la corpulence d’une personne.

Bibliographie

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  • Pennac, D. (2012). Journal d’un corps. Paris : Gallimard.
  • Reverchon, F., Meyer, M. (1985). Psychanalyse et relaxation (autour de la chronique d’un groupe). Paris : ESF.
  • Sapir, M., Reverchon, F., Prévost, J.-J., Canet-Palaysi, C., Philbert, R., Cornier, A., Cohen-Léon, S., Fédida, P. (1979). La relaxation : son approche psychanalytique. Paris : Dunod.
  • Sorlin, P. (2005). Du corps à la parole en relaxation. In Meyer, M., Londiche, M. et Dreyfus, M. (dir.) Entre mots et toucher le corps en transfert, relaxation psychanalytique méthode Sapir. (pp. 71-86). Grenoble : La pensée sauvage.
  • Winnicott, D. W. (1975). Jeu et réalité. Paris : Gallimard.

 

Agnès Molard 

  • Agnès Molard, psychomotricienne, psychanalyste, clinique Villa des Pages, Groupe clinea-orpea, 40 rue Horace Vernet, Le Vésinet, 26 rue d’Armenonville, 92200 Neuilly-sur-Seine.
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