La peau et le toucher (thème et variations)

Jean Marvaud / 2018

La peau, organe solide et fragile, délimite, englobe, enveloppe tout le corps. Objet de soins et d’embellissement au cours des siècles, elle est une forme de langage social. Le toucher et son interdit sont présents depuis les textes religieux sacrés (« noli me tangere ») jusqu’à la psychanalyse. La relaxation psychanalytique est une ouverture. Le Moi-peau et les échanges tactiles entre la mère et l’enfant enveloppent tout l’appareil psychique. Le lien se fait avec les variations psychopathologiques et psychosomatiques. Savons-nous suffisamment écouter la peau et son équilibre psychique, la regarder, la toucher, la sentir ?

1. Introduction  

En musique, la variation est une modification que l’on fait subir à un thème, à une phrase musicale pour les présenter sous un aspect autre. Les modifications peuvent être de différentes natures : mélodiques, rythmiques ou harmoniques. Ces divers modes de variations peuvent se combiner l’un à l’autre, le thème initial pouvant alors devenir presque méconnaissable. La variation est l’un des procédés les plus féconds de la musique occidentale. La peau reste un morceau de musique aux multiples variations, où chaque note éveille un point sensible et se lie aux autres.

La peau est un élément organique qui permet à de nombreux processus humains de se développer (aux niveaux biologique, sensoriel, psychique, représentatif, symbolique …). Elle joue un rôle primordial dans le développement psychique de l’homme, dans la naissance de la pensée et de la conscience de soi. Le lien mère-enfant (tous les cliniciens en sont persuadés) s’ancre autour d’elle et sur elle. La peau est une matière organique vivante en continuelle mutation. C’est une enveloppe singulière qui offre un des cinq sens, le toucher. Celui-ci traduit la grande ambivalence du domaine médico-psychologique.

Ces variations de la peau et du toucher vont être riches, en particulier dans le thème classique des liens directs de la psychiatrie et de la dermatologie, ou bien dans la variation appelée par certains « trait d’union psychosomatique » s’appuyant sur l’hypothèse de mécanismes étiopathologiques partagés.

2. La peau (le thème)

La peau (/po/, du latin : pellis) « organe du corps le plus grand, le plus étendu (2 m2), le plus lourd (3 à 5 kg), le plus riche, le plus sensible, est composé de plusieurs couches de tissus. C’est l’organe le plus visible qui peut être caché ou modifié. Et c’est aussi le plus poétique, le plus écrit, le plus métaphorisé. Que de mots, que de poèmes, que de chansons, que de textes où la peau est présente ! Cet organe, qui n’en finit pas de fasciner les chercheurs, a entraîné une foule d’écrits scientifiques, de travaux, de recherches, de soins discrets ou importants également (peau du nouveau-né, de l’enfant, de l’adulte, de la personne âgée) » [22]. Elle nous offre plusieurs facettes, celle de frontière essentielle à la protection du corps face aux agressions de l’environnement ; celle d’organe de contact sensoriel ; celle d’échanges thermiques, hydriques, essentiels au maintien de l’homéostasie ; celle d’organe miroir au niveau duquel se manifestent non seulement la plupart des maladies internes, mais également les réactions aux modifications de l’environnement et en particulier les émotions.

Cet organe peau est la réunion de trois tissus principaux : l’épiderme en surface, le derme, en dessous, l’hypoderme enfin. De très nombreux capillaires sanguins parcourent le derme, assurent la nutrition cutanée et participent au contrôle de la température du corps (un mètre de capillaires par centimètre carré de peau).

La peau est un organe sophistiqué aux multiples compétences et fascinations. Apparemment fragile, c’est une enveloppe protectrice, un bouclier. Cet organe enveloppant aux multiples antennes reste ouvert au monde extérieur. Notre épiderme semble posséder son propre langage chargé de relayer tous les non-dits de notre vie. Les raisons de cette interaction entre le cerveau et la peau sont simples. Ce fut une des grandes découvertes embryologiques : le développement du revêtement cutané se fait en parallèle de celui du cerveau. Tout sujet est immédiatement une peau et un cerveau. C’est un développement à la fois interne et externe indistinctement qui donne ensuite une peau interne et externe distinctement. L’histoire du sujet commence dans les premiers effleurements tactiles et sonores in utero. La peau est justement cet élément de notre corps qui remonte à notre histoire prénatale, « lorsque, fœtus, mon petit corps en développement, tentait vainement de se déplier dans l’espace utérin maternel et qu’il était contraint de limiter ses premiers mouvements de dialogue tonique. La peau est l’intermédiaire sensible entre les deux surfaces en dialogue : la peau du dos du fœtus et la face interne de l’utérus maternel. Ces premières inscriptions tactiles vont engrammer chez le fœtus la “nécessité” d’être contenu qui se poursuivra après la naissance » [6], nous explique P. Delion.

Les effleurements tactiles et sonores in utero se forment en même temps au 21e jour du développement de l’embryon. Dans les premières semaines, les cellules nerveuses et les cellules de la peau sont confondues. Ces deux tissus se séparent et s’individualisent ensuite, et les informations ne cessent de circuler entre eux. Ces interactions persistent tout au long de l’existence et le système nerveux va traduire toute information en un langage biochimique, via les neuromédiateurs. Toutes les fonctions cutanées sont modulées par eux. La peau informe le cerveau grâce à de nombreux capteurs spécialisés responsables de toutes les perceptions. Ils se trouvent surtout au niveau du derme superficiel, mais des terminaisons nerveuses se prolongent à travers l’épiderme, jusqu’à la surface de la peau. (La densité de ces capteurs est variable et peut passer, par centimètre carré, de 5000 à 2000 au niveau des doigts). Ces connexions anatomiques étroites entre leurs cellules permettent un continuel dialogue entre peau et cerveau.

La peau met l’accent sur les qualités sensibles de la vie psychique. Et l’ectoderme ouvre l’accès à l’enveloppe symbolique des mots. Dès l’origine et pendant toute la vie, la parole est liée au toucher et à ce qu’il provoque. Il est important de comprendre que « de tous les organes sensoriels, le toucher est le plus vital. Il est le premier sens à apparaître, au huitième mois de la gestation, et de surcroît, il apparaît par les fibres sans myéline, dites de la tendresse, sensibles au toucher léger et aux caresses, à conduction lente, non réceptrices aux coups et aux brûlures » [22]. Le nouveau-né peut dès sa naissance sentir les caresses et l’affection avant le toucher informatif. Physiologiquement, le contact affectif par la peau est à l’origine de la totalité du développement sensoriel du nouveau-né. Son absence peut avoir des conséquences psychiques importantes. Le toucher est le seul des cinq sens à posséder une structure réflexive. C’est sur ce modèle que se construit la réflexivité de la pensée.

« La peau, organe limite par excellence entre le dedans et le dehors, constitue une interface pour penser la fabrication de l’être humain dans une corporéité double, biologique et psychique. Elle est aussi métaphore de cette entité, en articulation et en contact permanent avec ce qui identifie les contenus appartenant au-dedans inscrivant ainsi et clôturant sa propre identité en la délimitant des contenus de l’altérité appartenant au dehors » [26] nous indiquent J.-J. Pailler et M. Papageorgiou.

3. Toucher et interdit du toucher (variation mélodique)

3.1. Le toucher

« La peau nous permet de prendre en compte la clinique du sensoriel avec des notations riches et particulières. Organe du toucher, elle est trop souvent exclue de l’univers relationnel thérapeutique, en dehors des signes qui peuvent être considérés comme pathologiques. Existent des attitudes “classiques” toujours trop présentes : la dénégation de ce monde perceptif et enveloppant ou bien la formulation de son interdit » [22]. Si, paradoxalement, le verbal permet, autorise, demande la parole sur tout ce qui touche à ce thème, ce verbal peut être freiné, inhibé par l’ampleur et les conséquences qu’il entraîne (présence du corps et du sensoriel), quitte à lui accorder une importance exacerbée.

Freud a renoncé à l’échange tactile au profit du seul échange langagier (en dehors de la poignée de main initiale et finale, qui n’est pas sans importance clinique pour fonder la réalité de la relation). On sait que c’est en renonçant au toucher (ainsi qu’au regard) que Freud franchit le pas décisif qui va lui permettre de construire l’espace théorique et pratique de la cure psychanalytique. « Il n’est pas rare de constater, nous dit P. Fédida, que la stricte observance de la règle analytique dans son implication sensuelle (s’abstenir de tout contact physique de toucher et de voir) est conforme à des configurations phobiques ou obsessionnelles qui trouvent ainsi dans la cure analytique leur propre matérialisation théorico-symptomatique » [11].

En 1984, paraissait un article de D. Anzieu au titre percutant : « Le double interdit du toucher » [1]. Ne venait-il pas d’une certaine manière renforcer notre traditionnel interdit chrétien du toucher ? La question du toucher (donc celle de la peau) était rejetée du domaine des psychothérapies psychanalytiques pour être imposée dans les psychothérapies à médiation décrétées non psychanalytiques (parce que portées par l’illusion de réparation du thérapeute). Ce radicalisme, niant l’incidence psychanalytique du toucher, est à rejeter, ainsi que l’ont écrit de nombreux cliniciens psychanalystes.

3.2. Toucher et psychanalyse

3.2.1. L’interdit d’écrire

« Il faut bien ajouter que toucher et psychanalyse ne font pas bon ménage » [29] et le toucher continue à interroger la communauté psychanalytique tout entière dans la pratique comme dans la théorie. Il est bien difficile, voire délicat, de savoir si l’importance de la non-écriture sur ce thème est simplement due à cela, ou à une ambivalence, ou à la crainte de critiques argumentées ou tout simplement à l’interdit du toucher qui se transforme en interdit d’écrire sur ce sujet.

3.2.2. L’interdit du toucher en psychanalyse

Existerait-il ainsi une censure du concept du toucher chez les psychanalystes ? « La reconnaissance d’un interdit du toucher nécessaire dans la pratique psychanalytique n’autorise cependant pas la réflexion psychanalytique à perdre de vue ce constat clinique : la vie psychique a pour base les qualités sensibles de son enveloppe corporelle et oblige justement à envisager les questions connexes en jeu. Interdire implique de donner forme à la représentation » [10]. Le paradoxe de la psychanalyse est qu’elle doit respecter cet interdit, sans lequel il n’est pas de psychanalyse, mais qu’elle a néanmoins à entendre et à penser le corps en séance puis à écouter et comprendre de quelle façon ce toucher, prohibé, entre en scène par ses substituts autorisés dans la parole et la présence du corps. La règle psychanalytique de l’abstinence maintient l’analyste dans sa position de neutralité, quelles que soient ses réactions émotionnelles contre-transférentielles envers le patient. Existerait-il ainsi une censure du concept de toucher chez les psychanalystes et, bien entendu, une censure de la peau ?

Parmi les fantasmes analytiques, se véhicule une définition de la neutralité qui serait grossièrement celle d’une espèce d’analyste asexué, sans existence réelle, « insignifiant ». Ce modèle est tout à fait contradictoire avec ce qu’a pu dire Freud dans La technique psychanalytique : « Être neutre, c’est être surpris, c’est avoir la capacité d’être surpris » [12]. Avoir la capacité d’être surpris, c’est ne pas avoir un savoir théorique tel que les paroles d’un patient seraient précodées à l’avance. L’interdit du toucher est une forme de sa reconnaissance. Il rend possible la découverte de l’interdit œdipien, qui prohibe l’inceste et le parricide. Certains praticiens se risqueront à le transgresser dans certaines situations : Ferenczi, Winnicott, Reich … Le toucher, dès lors qu’il est civilisé, est toujours codifié, ordonné. Est-ce dû à la fragilité et à l’exposition de cette surface d’échange, la peau, à son érogénéité ? Les textes spirituels (autour du toucher et de son interdit) montrent, dans de nombreux exemples, que leur fonction est d’être l’enveloppe culturelle pour chaque membre de la communauté concernée par une tradition.

3.2.3. Le toucher en relaxation psychanalytique

Rappelons que la relaxation psychanalytique Sapir [31] est une méthode centrée sur l’efficacité symbolique des inductions (verbales et par le toucher) et sur la parole, donc sur la valeur d’un dire qui s’adresse à un Autre.

Peau et toucher en relaxation

Insistons encore sur l’importance de la peau, de cette membrane dans sa fonction d’échanges et de médiation, en particulier pour les psychanalystes en relaxation. Les enveloppes psychiques apparaissent comme variables sous l’effet de l’induction en relaxation, en particulier sous l’effet de métaphores qui vont fortifier l’étayage du « moi pensant » sur le corps et sur les sensations et images corporelles.

« Aucun thérapeute n’ignore aujourd’hui que le toucher prend sens quand il entre dans un dispositif pour le contenir et l’élaborer » [21]. Dans toutes les méthodes de relaxation psychanalytique se pose la question du toucher. Nous pouvons dire, cela va de soi, que l’on touche par les mains, comme par les mots et la voix qui les porte, par la mélodie, le rythme, l’intonation de la voix. Mais, nous touchons également par un signifiant qui trouve sa place dans une chaîne. En relaxation, le toucher est un moment particulièrement important. Le relaxant est touché et fera un travail associatif avec son ressenti et son vécu. Le thérapeute devra, lui, rester attentif à ses motions pulsionnelles contre-transférentielles. Dans la préface du livre La double rencontre de Théa-Hélène Fua, D. Anzieu a pu écrire : « Elle a réinventé et systématisé une méthode que quelques psychanalystes avaient déjà mise à l’essai de façon restée hasardeuse : l’alternance de séances de libres associations et de séances de relaxation … » [13] dont le toucher. Et il ajoute : « Peu importe si des esprits pointilleux rangent ce dispositif sous la rubrique de la psychanalyse transgressive. Il existe des situations où on ne peut progresser qu’en transgressant. »

3.3. L’induction par le toucher

C’est un moment privilégié du « corps à corps ». C’est un « dialogue » préconscient (ou inconscient) muet où le psychanalyste en relaxation peut redonner existence et limite. Toucher avec tact dans le sens ferenczien est une évidence à ne jamais oublier. Ce toucher est avant tout une induction (comme l’induction verbale) et accompagne le phénomène complexe déjà créé. Le toucher demande (les relaxants le pensent toujours) un jugement de réalité effectué par le thérapeute : celui du regard sur le corps qui est là présent. Précédé du regard, de la voix, des mots, il met le relaxant à l’écoute de son corps ou clôt toute écoute, même s’il vise à induire une résonance. Comme la voix en relaxation, il suspend tout raisonnement. Le toucher est souvent vécu, surtout au début, comme une intrusion, un arrêt, une effraction dans le corps, dans le ressenti. Il est cependant « guidé » par le relaxant sans qu’il le sache, par son attitude, sa position, ou, souvent, par des éléments de l’histoire de sa cure. En quelque sorte, il dit son refus, son attente inquiète, sa gêne et son plaisir.

4. La peau au cours de l’histoire humaine (variation rythmique)

4.1. Les soins portés à la peau et à l’embellissement du corps

A. Rousier [27] et R. Delisle [7], avec leurs textes sur l’esthétique romaine, nous font part de notions que nous portons en nous. Les soins de la peau existent depuis la préhistoire avec des buts et des exigences à peu près semblables. Ils ont parcouru les siècles. Comment correspondre à l’image de son époque, aux devoirs de la royauté, aux modes quels qu’en soient les sacrifices ? L’hygiène (mot issu du nom de la déesse grecque de la santé hygie) a fait de formidables progrès grâce au développement de l’irrigation en Inde, il y a trente siècles. Cela a entraîné une prise de conscience des bienfaits de l’eau sur le corps : elle est source de bonheur et de réconfort. Dans la Grèce antique, prendre soin de sa peau, de son corps, est nécessaire et important. Des fontaines publiques sont installées en plein air. Les Romains adoptèrent la pratique des bains (les thermes romains). Et on va recouvrir la peau de pommades et de lotions hydratantes (déjà !) ; les recettes de ces préparations sont nombreuses et beaucoup vont développer des lésions plus ou moins graves de la peau qui vont nécessiter davantage de « masques » (maquillages) pour en cacher les effets désastreux.

Le maquillage est resté le soin d’embellissement par excellence et, pendant vingt siècles, existeront les soins, l’esthétique, le maquillage, les fards. Avoir un teint de peau blanc est absolument recherché (et le sera jusqu’à la Révolution). Le blanc est destiné à offrir un effet de statuaire et évoquera, à partir du Moyen Âge, la virginité. Il permet de dissimuler toutes les atteintes de la peau (rougeurs, couperose, dermatoses …) provoquées par la nourriture très épicée et les vins capiteux. On l’accentue grâce à de la craie ou du blanc de céruse, matériau redoutable (oxyde de plomb) qui n’est pas sans danger pour la santé. Si Galien, le célèbre médecin de l’Antiquité du IIe siècle, en dénonce déjà la nocivité, il ne sera interdit en France qu’en 1915 ! Et parfois (déjà), on peut rehausser le blanc de rouge grâce à de l’écume de salpêtre (nitrate de potassium), par exemple. À partir de la Renaissance et jusqu’à la Révolution, le rouge deviendra une véritable obsession : en ajouter sera une note obligatoire du marché de la séduction. Sur les visages blanchis, enduits de rouge par endroits, on souligne également en bleu les veines du front, des tempes et de la gorge, afin de bien montrer le sang bleu aristocratique. Et notre drapeau tricolore arrivera à la Révolution (drapeau officiel depuis 1812). Le bleu et le rouge, devenus les couleurs des révolutionnaires parisiens, entourent et encerclent le blanc, la couleur du roi.

Le XXe siècle a vu la fin du teint blafard, du masque au sang de poulet, puis du peeling au rasoir, des cernes volontairement marqués. Le maquillage se personnalise et s’adapte à la forme du visage. C’est la période du visagisme et du relooking. Le maquillage s’est démocratisé, il n’est plus amoral mais un des signes de la libération de la femme. Dans les dernières années de ce siècle sont mis en valeur la beauté naturelle de la peau et le maquillage naturel. Actuellement, on écoute sa peau, et en particulier « les peaux à problème ». Et commence à exister un effet de mode (d’autres effets ont pu se produire au cours des siècles) : rééquilibrer la flore bactérienne de la peau afin qu’elle soit parfaite grâce à de bonnes bactéries.

4.2. Peau et langage relationnel

La peau représente une forme de langage social, ainsi que l’a décrit, entre autres, D. Le Breton. « Les modifications corporelles affirment une singularité individuelle dans l’anonymat démocratique de nos sociétés. Elles permettent de se penser unique et valable dans un monde où les repères se perdent et où foisonne l’initiative personnelle » [16]. Le maquillage, le tatouage, le piercing sont autant de moyens de communiquer avec autrui et d’exprimer un besoin d’insertion, un désir de différenciation, une soif de révolte, une construction de la personnalité, une recherche de singularité, d’affirmation de soi, une recherche esthétique de la sensualité. De marginal ou d’original, le tatouage est devenu, avec le piercing, une référence essentielle de la jeunesse contemporaine, voire parfois un conformisme de classe d’âge. Au cours de l’histoire humaine, la peau a toujours été le support de peintures, tatouages, incisions, perçages, stigmates … Cela pouvait être des marques traditionnelles d’asservissement (exemple des esclaves marqués) mais cela représentait surtout une appartenance à un groupe ethnique, religieux ou culturel, donc un phénomène social.

Car « si le recours au corps marque la défaillance de la parole et de la pensée, la peau peut devenir surface d’inscription du mal-être et du refus ». Le but de ces êtres qui se coupent, s’entaillent, se blessent volontairement et secrètement, est de « transcender l’angoisse relationnelle dans laquelle ils se trouvent. Ils s’entament le corps comme s’ils posaient des limites aux souffrances extérieures, pour se sentir plus vivants » [15]. Nous voyons ainsi que notre peau n’est pas que le messager de notre vie intérieure. Elle est l’image de notre identité profonde et superficielle. Elle est ainsi le reflet de notre existence.

La peau est un organe privilégié de la vie de relation, y compris dans la composante amoureuse de celle-ci. Elle est parfumée, maquillée, adoucie, épilée, bronzée. Elle est destinée à être regardée, touchée, caressée, et participe ainsi à la séduction. Elle exprime, dévoile, ou même trahit sentiments et émotions.

4.3. Le langage religieux et l’interdit du toucher

4.3.1. La peau recouvre

D. Horvilleur, dans En tenue d’Ève, [14] évoque la sortie du paradis. Adam et Ève vont se regarder, vont découvrir l’autre, la différence des sexes donc. Ils vont être conscients de leur nudité, d’une séparation entre eux et le monde. Dorénavant, ils sont dotés d’une frontière corporelle, d’une limite placée entre eux et ce qui les entoure … M. Londiche le formule ainsi : « Dieu devra leur donner une peau pour affronter l’opacité que dévoile la nudité, une peau-enveloppe qui touche et peut être touchée » [17]. Elle parle de l’expulsion du jardin d’Eden, « la fin du monde fusionnel ». Elle évoque D. Horvilleur : « Adam sait qu’il est nu car dorénavant l’homme est irrémédiablement séparé de son prochain par des membranes qui à la manière d’une peau le recouvrent » [17]. Nous passons du monde de la transparence au monde du recouvert. « Telle est la toute première pudeur humaine selon la Bible » [14] dit D. Horvilleur.

4.3.2. « Noli me tangere » (Jésus-Christ)

Dans les Évangiles, toute peau malade était montrée du doigt comme si elle révélait la marque d’une faute ou d’une punition divine. Elle a souvent dû être masquée face au divin. Et existent des différences entre la peau de la femme et de l’homme, comme nous allons le voir avec l’épisode de la résurrection du Christ. « Nous, les femmes, on n’a pas de peau » [18] écrit M. Londiche citant D. Horvilleur. Elle ajoute : « Pourquoi le problème du féminin dans la religion est-il d’ordre dermatologique ? »

La psychanalyse est née dans la culture occidentale marquée par la culture chrétienne. Les textes concernant le toucher et son interdit semblent issus du Nouveau Testament (chrétien) ; l’Ancien Testament (juif), fait remarquer D. Anzieu, met davantage l’accent sur l’interdit de la représentation. Dans la tradition chrétienne, l’interdit du toucher christique est explicite : « noli me tangere », « ne me touche pas » sont les paroles prononcées par Jésus ressuscité le dimanche de Pâques à l’adresse de Marie de Magdala (ou Marie-Madeleine) à laquelle il apparaît en premier. « Ne me touche pas » [24], nous dit J.-L. Nancy, évoque une interdiction de contact. C’est une phrase qui touche, qui ne peut pas ne pas toucher. C’est un bord à bord infranchissable qui a fait aussi du toucher, ainsi que Freud l’a relevé (Totem et Tabou, II,2) un enjeu majeur du tabou en tant que structure constitutive de la sacralité » [24].

Dans l’original de Jean, la phrase de Jésus à Marie-Madeleine se dit : « Mè mou haptou. » (Le verbe haptein, toucher, peut aussi prendre le sens de retenir, arrêter, attacher.) Dans la traduction plus difficile et dite œcuménique de la Bible, il est en effet écrit : « ne me retiens pas », « ne m’arrête pas » et, en bas de page figure la note ; « Jésus entend signifier à Marie que le changement qui s’opère en lui en fonction de son passage auprès du Père va entraîner un nouveau type de relation » [25]. Donc, « Noli me tangere » – Ne me touche pas – est une parole emblématique pour des situations de violence ou de désir. « C’est aussi, et d’abord, ajoute J.-L. Nancy, le rappel lapidaire d’un tabou majeur de toutes les cultures ; celui du toucher » [24].

Cet interdit est prisonnier de paradoxes. Très rapidement il est transgressé comme on le constate en se référant à la suite immédiate du texte évangélique de Jean. Quelques jours plus tard, le Christ dira à Thomas Dydime, incrédule : « Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté. » Thomas, en effet, affirmait ne pas croire « tant qu’il n’aurait pas vu celui-ci de ses yeux ni touché ses plaies de ses doigts », c’est-à-dire qu’il demandait pour croire une présence sensible qu’on puisse palper, toucher, explorer. Ainsi un homme, Thomas, est invité à toucher ce qu’une femme, Marie-Madeleine, ne pouvait qu’entrevoir. L’interdit du toucher est dans notre culture. Il est bien compréhensible qu’il ait été repris par le monde psychanalytique.

5. La peau et ses traces, le Moi-peau (variation harmonique)

5.1. Le Moi-peau

« Le Moi-peau est la capacité du moi à se figurer à partir des expériences sensorielles de la peau » [2]. D. Anzieu a théorisé de façon riche, métaphorique, la question des enveloppes psychiques, du contenant, des frontières, des limites dans la perspective psychanalytique. Il s’est attaché à montrer que le lieu de la contiguïté entre les organes des sens est la peau. « Dès le début de la vie, la peau et les muqueuses reçoivent de nombreuses stimulations plus ou moins agréables surtout par l’intermédiaire de la mère, lors du nourrissage, du portage, des soins corporels, de l’habillement. Les manipulations corporelles sont alors à l’origine d’une excitation agréable pour le nourrisson et deviennent l’occasion d’une communication préverbale, témoignage de l’amour que la mère porte à son enfant et qu’elle arrive ainsi à lui faire ressentir » [2]. Il pourra dire : « Le massage devient message. »

Le Moi-peau est une enveloppe de maternage. « Dès la vie intra-utérine lors de laquelle s’ébauche le système perception-conscience du nourrisson, l’utérus maternel est vécu comme le sac qui maintient des fragments de conscience » [5] nous indique D. Cuppa. Le petit enfant, à côté de ses besoins du corps, va présenter des besoins psychiques qui sont satisfaits par une mère « suffisamment bonne ». Winnicott a beaucoup inspiré D. Anzieu qui « utilise les notions winnicottiennes de holding, de handling, et d’object-presenting », nous dit D. Cuppa et il nous rappelle que pour cet auteur : « Le moi se fonde sur un moi corporel, mais c’est seulement lorsque tout se passe bien que la personne du nourrisson commence à se rattacher au corps et aux fonctions corporelles, la peau étant la membrane frontière » [5]. L’objet et l’espace transitionnel peuvent être compris comme des effets de la pulsion d’attachement de Bowly.

Tout auteur parlera de l’étayage du Moi-peau par trois fonctions de la peau :

  • celle de contenant empli par les expériences que l’allaitement, les soins, les bains de parole y ont accumulées de manière satisfaisante ;
  • celle de zone d’échange et de communication avec autrui, d’établissement de relations signifiantes, de surfaces et d’inscription des traces laissées par ces dernières. Les échanges tactiles entre la mère et l’enfant ont un caractère fondamental. Ils permettent les constructions psychiques qui s’appuient sur la relation mère-enfant médiatisée par la peau. Le bébé acquiert la perception de sa peau comme surface à l’occasion des expériences de contact de son corps avec le corps de sa mère et donc le cadre d’une relation sécurisante d’attachement avec elle. « La recherche du contact corporel entre le petit et sa mère est un facteur essentiel du développement affectif, cognitif et social indépendamment du don de nourriture … » [5] nous indique D. Cuppa ; et G. Szwec souligne « l’importance pour la constitution de l’objet et du moi et pour la genèse des premières représentations, du contact peau à peau ou des impressions tactiles au creux des mains » [28] ;
  • celle de surface entre le dedans et le dehors, enveloppe de protection en tant que frontière contre les agressions externes et internes (poussées pulsionnelles), en tant que zone privilégiée d’échange avec lui. La peau est investie et narcissiquement par l’objet. Elle est un carrefour entre le narcissisme et l’objectivation. La constitution de la limite entre l’intérieur du corps et le monde extérieur ne concerne pas que le contact cutané mais tout le contact avec la mère (visage, bain de paroles …) et est étayée par le jeu des investissements et désinvestissements de la mère.

5.2. Une psychanalyse cutanée

On retrouve la présence de l’inscription, sur la peau de chaque personne, de ses traces visibles, cachées, invisibles, transformées, modifiées en lien avec ses premiers objets et, ainsi que nous l’avons vu, de son identité socioculturelle, religieuse, de filiation et parfois de ses fantasmes. S. Consoli cite S. et A. de Mijolla-Melior : « Depuis les années cinquante, on est passé à une psychanalyse plus cutanée. » Il s’agit, écrit-elle, « de l’établissement d’un lien métaphorique entre la peau réelle, limite du corps, frontière entre le dehors et le dedans de l’individu et ses structures fantasmatiques limitant l’espace psychique individuel » [4].

Ce lien métaphorique signe aussi la relaxation psychanalytique, la développe, l’enrichit. Les analystes la pratiquant sont baignés par le Moi-peau qui est « une réalité fantasmatique », une figuration dont « le Moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même comme Moi contenant les contenus psychiques, à partir de son expérience de la surface du corps » [4]. Ces analystes sont suffisamment investis par ces concepts pour retrouver la peau à peau, le corps à corps ainsi que le fantasme d’une peau commune avec la mère. La peau enveloppe tout le corps, le Moi-peau enveloppe tout l’appareil psychique.

5.3. L’identité de l’enfant

Elle se constitue à travers la première relation qu’il entretient avec sa mère et avec son entourage. Cette relation passe avant tout par le toucher et par les paroles. La qualité du contact avec la mère donnera à l’enfant une sécurisation nécessaire et la possibilité de bien vivre les manques et les excitations trop violentes pour lui. Les paroles viennent marquer la séparation entre elle et son enfant. Elles nomment les moments où il est touché, porté et les moments de non-portage, de non-toucher. Si la mère est trop souvent tendue, si elle n’est pas assez présente psychiquement pour son enfant, ce dernier en souffrira et ne pourra investir suffisamment bien son enveloppe corporelle.

6. Variations psychopathologiques et psychosomatiques

6.1. Une psychodermatologie

La présence de liens riches entre peau et cerveau semble justifier l’existence d’une « psychodermatologie ». Mais ces liens peuvent être simples ou compliqués, déroutants, contradictoires amenant à des prises de position fort différentes.

6.1.1. « Le petit trou en forme d’étoile »

Régine Détambel, dans Blasons d’un corps enfantin, nous enchante par ses descriptions poétiques des petites atteintes traumatiques de la peau si fragile des enfants. « L’écorchure n’est pas le désagrément nécessaire des promenades à vélo et des sauts dans les ronces et dans les fourrés, elle est une fenêtre soudain en soi, le petit trou en forme d’étoile par lequel passent pour la première fois les rayons du soleil. Alors l’ombre au-dedans est un cône qui grandit » [8].

6.1.2. Répercussions psychologiques des dermatoses

Toute affection organique réalise chez le sujet malade une blessure narcissique plus ou moins importante. La spécificité des affections cutanées est de faire appel au regard et d’altérer inévitablement aussi bien l’image de soi que le sujet a de lui-même que l’image qu’il offre à autrui. Selon les cas, une telle image altérée va être source de curiosité, de dégoût, de répulsion ou encore de gêne et de honte. Dans l’inconscient collectif, la maladie de peau reste encore synonyme de maladie contagieuse, de maladie vénérienne, de maladie honteuse. La peau est cachée, camouflée, plus rarement exhibée [9].

Certaines affections dermatologiques sont réputées survenir après un choc traumatique. L’exemple le plus visible est la survenue d’une pelade après une grande frayeur. Et d’autres atteintes (psoriasis, lichen …) peuvent survenir lors de circonstances moins importantes. Il est tellement agréable, pour certains médecins, de pouvoir expliquer la survenue d’une atteinte dermatologique par une cause.

6.2. Les phénomènes névrotiques

Comme tous les organes sensoriels, la peau est le siège de phénomènes névrotiques de conversion classiques (par exemple, en ce qui concerne la douleur : des anesthésies, des paresthésies, des hyperesthésies). La peau est la mémoire de nos émotions et peut manifester de multiples expressions émotionnelles à travers des phénomènes fonctionnels (physiques) comme la rougeur (gêne, honte, culpabilité …), le pâlissement, la sudation … Certains ont fait un assemblage avec la conversion. Cela n’est pas, en général, d’une grande importance, mais le modèle conversionnel, en ce qui concerne la peau, a été étendu à d’authentiques maladies somatiques dans certaines conceptions psychosomatiques, dans une indistinction des différents modes de relation entre le psychique et le somatique.

La démarche de l’impact du psychisme sur ces affections peut être claire lorsqu’est recherchée une signification psychique symbolique. Les lésions sur la peau sont alors en lien avec des fantasmes refoulés dans l’inconscient. Ce modèle théorique du symbolisme de la peau renvoie à l’hystérie de conversion.

6.3. Les aspects psychosomatiques

Aborder les aspects psychosomatiques concernant la peau semble aller de soi. Cela reste depuis longtemps maintenant une ouverture importante pour les personnes atteintes d’affections de la peau, les soignants et la société. Beaucoup de symptômes centrés sur elle semblent aller de pair avec une somatisation qui vient porter à l’expression un conflit psychique. Ce symptôme de (sur) la peau, affectant donc le corps, a fonction d’appel et s’offre au regard. Et c’est parfois une lutte incessante.

Le sujet atteint fournit du matériel visible, mais un matériel sans signification autre que ce qui s’offre. Il montre sa peau, son corps, il les donne à l’autre mais avec un manque important : celui d’un code. Ni l’un, ni l’autre, bien souvent, ne peuvent en effet référer cette atteinte à une origine, ne peuvent y trouver un sens. Pourtant, ne devrait-il pas exister une preuve autre dans ce corps et dans cette réalité représentée par ces atteintes variées de la peau, celle de connaissances plus engageantes, plus exigeantes ?

6.3.1. Du processus de somatisation à l’approche psychosomatique

Partons d’un constat en ce qui concerne ces affections (cf. J. Marvaud [23]) : tout ne peut être psychique et tout ne peut être corporel. Prendre en compte uniquement les symptômes biologiques de ces atteintes voudrait dire que c’est le cerveau qui est le seul « outil capable de les produire grâce à ses neurotransmetteurs et aux circuits de réseaux cognitifs » [30]. L’être humain n’est pas une représentation exclusivement biologique ; ce serait alors évacuer l’existence du psychisme. Cela entraîne de travailler avec l’hypothèse de l’inconscient. Nous ne pouvons réduire les atteintes de la peau à une entité mécanique qui les ferait entrer dans une classification (ainsi que cela a pu être fait par certains auteurs). L’approche psychosomatique de la plupart des affections de la peau s’appuie en effet sur la notion de base classique : tout état affectif s’accompagne d’un état somatique impliquant non seulement le cerveau et son fonctionnement mais le corps tout entier. Pour comprendre ce corps souffrant, il faut replacer le trouble de la peau dans l’histoire du sujet. Toute organisation psychosomatique comprend non seulement un fonctionnement psychique plus ou moins stable mais aussi des points de fixation somatique que chaque individu possède et qui lui sont personnels. Chez chaque sujet, ces points de fixation s’appuient sur la traversée des différents stades (avec les liens soma-symbolisation) et aussi sur les premières expériences vécues (fixations somatiques archaïques), points abordés après P. Marty, par E. Castellano-Maury [3].

Nous savons bien que l’enfant, face à un milieu sourd à sa souffrance psychique, va utiliser sa souffrance somatique pour attirer l’attention maternelle qui lui fait défaut (sur le plan réel ou/et imaginaire). Une fois devenu adulte, cet enfant futur somatisant, pourra, dans son corps, en conserver la trace qui deviendra le représentant de l’infans qu’il a été.

Un point essentiel à rappeler : tout individu est apte à entrer dans un processus de somatisation. La somatisation est une conséquence somatique d’affects ou de pulsions réprimés. Le risque de somatisation est plus grand pour n’importe qui dans des circonstances qui mobilisent une augmentation des pressions affectives. Chacun a un seuil au-delà duquel il risque de somatiser face aux traumatismes internes ou/et externes. Leur force est parfois méconnue du sujet, et ils bouleversent son système de défenses habituelles contre les conflits psychiques et la douleur mentale. Mais, en dehors de leurs atteintes de la peau et de leurs conséquences, tous ces sujets paraissent assez « normaux » sur les plans physique et psychique.

6.3.2. Organogenèse ou psychogenèse

L’évolution des connaissances médicales et la considérable complexification des classifications dermatologiques ne doivent pas faire tomber dans l’oubli l’élémentaire de la démarche psychosomatique. Devant la floraison actuelle d’allergies et l’importance de l’influence des allergènes, ne devrait-on pas réfléchir autrement sur ces atteintes de la peau, qu’il s’agisse de la figuration sur la peau d’un conflit refoulé, donc un sens symbolique sexuel (c’est-à-dire, le modèle freudien de la psychonévrose) ou bien d’un autre modèle, le plus répandu, celui de la névrose d’organe [19] de Marty, apparenté à la conception freudienne de la névrose actuelle avec la supposition d’absence de sens, le refoulement s’avérant insuffisant ou inapte à donner à cette somatisation une signification psychique ?

On en arrive bien à l’idée que la nature de l’investissement libidinal de la surface de la peau est une composante importante de la question du sens ou du non-sens d’un trouble cutané, libidinalisation donc qui dépend des premières relations de l’enfant avec son environnement, et notamment de ce qu’il a intériorisé des messages que la mère a pu lui transmettre en le touchant, le câlinant et le manipulant.

On peut comprendre que la recherche de l’origine psychique d’une maladie commence à apparaître comme un faux problème pour les PS de l’École de Paris qui sont en train de découvrir le rôle que jouent les déficiences de l’élaboration et des systèmes de défense mentales chez les patients qui somatisent … La question « organogenèse » ou psychogenèse » va, de ce fait, devenir pour eux caduque [28].

6.3.3. La relation d’objet allergique

C’est une description clinique et une théorie magistrale d’un type de fonctionnement mental « inscrit » et fixé très précocement, ce qui rend compte d’une impossibilité de se constituer psychiquement à partir du toucher et de l’expérience « du peau à peau » du bébé avec l’objet maternel, du fait d’un fonctionnement mental de ce dernier, trop excitant ou trop pare-excitant [20] nous explique P. Marty.

6.4. La peau impose son existence

Bien des pathologies viennent prouver que la peau est l’enjeu de liens et de représentations complexes. Les affections de la peau entretiennent d’étroites relations avec les failles narcissiques et les insuffisances de structuration du moi.

Ne peut-on parler d’une peau pulsionnelle, peau érogène ou peau affectée ? Les lignes de partage pourront ainsi être placées ailleurs qu’entre psychisme et somatique. A-t-on actuellement, dans la clinique psychanalytique, suffisamment d’éléments pour évaluer la présence de la peau dans les cures ? La relaxation psychanalytique, par contre, peut y aider.

7. Conclusion

La variation est une modification que l’on fait subir à un thème, à une phrase musicale pour les présenter sous un aspect différent. En suivant les traités modernes de composition, nous pouvons désigner ce mémoire comme une « variation amplificatrice ». Ce thème « la peau » est développé sous différents aspects. C’est une « élaboration », terme musical renvoyant à l’anglais « work out » (résoudre, réussir …) et pour nous au processus de symbolisation du travail psychique associatif permettant de maîtriser les associations.

Existe une riche palette de représentations diverses de la peau physique et métaphorique qui favorisent des approches diverses dans lesquelles se mêlent les arts, dont l’écriture, mais aussi les sciences dont la biologie, la médecine, la psychanalyse, et enfin la poésie sur le corps : « le corps, ce peau-ème », nous indique M. Mas.

La peau, à l’intersection du moi et de l’autre, est un lieu d’échanges infini avec le monde extérieur. Tout à la fois fragile comme un voile et solide comme une muraille, elle rougit et frissonne. Mémoire de nos émotions, elle ressent tout, capte tout pour délivrer inlassablement des messages et des codes à notre cerveau.

Selon D. Anzieu, de même que la peau enveloppe tout le corps, le Moi-peau enveloppe tout l’appareil psychique. Elle renvoie sans cesse au sujet tout entier. L’histoire de chacun peut évoquer les passages d’une peau à une autre : passage de la peau réelle, enveloppe du corps, à la peau psychique ; passage de la peau intervalle à la peau de l’individu autonome ; passage de la peau saine à la peau malade ; passage de la peau du psychothérapeute, du psychanalyste à la peau de son patient. La peau, avec ses deux facettes interne et externe, a un statut d’intermédiaire, d’entre-deux, de « transitionnalité ». Continuons, en clinique, à travailler avec la peau des mots et l’enveloppe des touchers. « Le langage est une peau. Je frotte mon langage contre l’autre » (Roland Barthes).

Déclaration de liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

 

Références

[1] D. Anzieu Le double interdit du toucher Nouvelle revue de psychanalyse, Gallimard, Paris (1984) [no 29]

[2] D. AnzieuLe moi-peau Dunod, Paris (1985)

[3] E. Castellano-Maury De la structure psychosomatique au processus de somatisation. Exposé. Liège (2009)

[4] S.G. Consoli La peau entre mythologie et psychanalyse Institoyto psycsikès Ygéias paidion kai énèdikon, Athènes (2008) [p. 1–6]

[5] D. Cuppa Une topologie de la sensualité : le Moi-peau Revue Française de Psychosomatique, PUF, Paris (2006) [p. 83–100, no 29]

[6] P. Delion Peau, psychopathologie transférentielle et institutions La peau, 4, L’Harmattan, Paris (2018), pp. 91-96

[7] R. Delisle L’esthétique romaine antique. Le portique (2006), pp. 1-5

[8] R. Détambel Le petit trou en forme d’étoile Blasons d’un corps enfantin, Fata Morgan, Fonfroide le haut (2000)

[9] Encyclopédie Médico-chirurgicale : psychiatrie et dermatologie.

[10] M. Estrade Le toucher « perdu » de la psychanalyse Colloque sur le corps, Université de Toulouse (2010), pp. 2-6

[11] P. Fédida La mimétique et la fonction du voir Les cahiers de l’IPPC, Laballery, Clamecy (1987) [no 6]

[12] S. Freud La technique psychanalytique PUF, Paris (1953)

[13] T.H. Fua La double rencontre, préface de D. Anzieu Césura, Lyon (1989), pp. 9-12

[14] D. Horvilleur En tenue d’Eve Grasset, Paris (2013)

[15] D. Le Breton La peau et la trace. Coll. Traversées Ed. Métailié, Paris (2002)

[16] D. Le Breton Signes d’identité : tatouages, piercings, etc. Coll. Traversée Ed. Métailié, Paris (2008)

[17] M. Londiche La peau dans tous ses états La peau, 4, L’Harmattan, Paris (2018), pp. 33-39

[18] M. Londiche À propos de l’intervention de Delphine Horvilleur « Le féminin biblique ou l’être muqueux La peau, 4, L’Harmattan, Paris (2018), pp. 111-114

[19] P. Marty L’ordre psychosomatique Payot, Paris (1998)

[20] P. Marty La relation objectale allergique Revue Française de Psychanalyse, PUF, Paris (1958) [Republié in Revue Française de Psychosomatique. Paris : PUF ; 2006/1, no̊29]

[21] J. Marvaud La peau, la parole, le toucher La peau, L’Harmattan, Paris (2018) [4/77–89]

[22] J. Marvaud Prologue La peau, 4, L’Harmattan, Paris (2018), pp. 9-22

[23] J. Marvaud Les aspects psychosomatiques du bégaiement Les bégaiements, données actuelles. ANAE, Pliomédia, Paris (2014), pp. 271-278 [26/3, no130]

[24] J.L. Nancy Noli me tangereBayard, Paris (2013)[p. 24–7]

[25] P. Nicolet, F. Vouga L’Évangile selon saint Jean Bible, Nouveau Testament, traduction œcuménique, Nouvelle librairie Séboué (1979), pp. 1-5

[26] J.J. Pailler, M. Papageorgiou Argument, Revue Française de Psychosomatique PUF, Paris (2006), pp. 3-6 [no 29]

[27] Rousier A. La toilette des femmes dans la Rome antique. Histoire Universelle ; 1-5.

[28] G. Szwec Les maladies de peau dans quelques modèles psychosomatiques Revue Française de Psychosomatique, PUF, Paris (2006), pp. 31-49 [no 29]

[29] B. Vandenbroucke Toucher, Editorial, Cahiers Jungiens de psychanalyse Toucher, SFPA, Paris (2006), pp. 5-6 [no 118]

[30] E. Zarifian Le goût de vivre. Retrouver la parole perdue Odile Jacob, Paris (2005)

[31] www.areps.eu

 

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