Nicole Dematteis
ERES | « Spirale » 2018/2 N° 86 | pages 61 à 67 / ISSN 1278-4699
Né immature, le petit humain a besoin d’une transition entre l’univers utérin et l’univers terrestre. La « nidation » peut se prolonger d’autant plus facilement que sont proposées des proximités corporelles qui soutiennent ses adaptations.
Proximité
Le bébé, dès la naissance, déploie des stratégies pour obtenir et maintenir la proximité avec l’adulte, le plus souvent sa mère, logiquement proche de lui. Pour répondre aux demandes de leur enfant, la mère et le père ont besoin de sollicitations et de retours de l’enfant gratifiants – sourires, babillages –, mais parfois moins agréables – fuite du regard, agitation, pleurs. Ces appels lancés par le bébé et les réponses apportées par ses parents leur permettent de se coordonner avec lui.
Le bébé a besoin d’un temps de transition qui est facilité par un environnement de contact corporel avec l’adulte : portage dans les bras, bercements, au cours mais aussi au-delà des soins d’hygiène et des interactions nourricières. Le nouveau-né apprécie de retrouver les sensations qu’il a connues dans le ventre maternel : appuis variés sur son corps procurés par les contours permanents, les bases de sa sécurité. Il peut ainsi réactiver cette sécurité, construite principalement sur sa sensorialité. Toute la physiologie maternelle périnatale concourt à préparer la mère à assurer cette continuité.
« La femme atteint un stade dont normalement elle se remet au cours des semaines et des mois qui suivent la naissance du bébé ; stade pendant lequel, dans une large mesure, elle est le bébé et le bébé est elle » (Winnicott, 1953). Dans nos sociétés occidentales modernes, les pratiques du « prendre soin du bébé » sont souvent réprouvées, parfois même par les professionnels de santé, sous prétexte d’éviter les « mauvaises habitudes ». Des conditionnements culturels pesants imposent encore des limites sans en évaluer les conséquences délétères. Les parents qui outrepassent ces diktats se sentent parfois d’autant plus « en faute » que cette « autorité » se targue d’un savoir scientifique. Cette culpabilité génère des émotions difficiles chez des parents en construction, qui déjà tâtonnent pour être les meilleurs parents possibles. Néanmoins, de plus en plus d’entre eux ressentent le besoin de ces pratiques proximales et chaleureuses, perçoivent intuitivement l’évidence de ce type de réponse aux manifestations du bébé.
La communication par le toucher
Les contacts cutanés répétés du massage déclenchent chez l’enfant, comme chez le parent, une sécrétion d’ocytocine et d’endorphines. Ces hormones favorisent l’apaisement et le bien-être. L’ocytocine est favorable au vivre ensemble, à l’attachement. Ainsi, par le massage, le parent peut favoriser la relation, l’apaisement, le plaisir partagé, un comportement plus calme, la confiance.
L’instinct, la culture, l’histoire
La mère, les parents font d’eux-mêmes des massages localisés, répétés, lors du change, de la toilette, des gestes d’apaisement pratiqués lors des douleurs ou des périodes d’agitation dénommées « coliques ». Au Maghreb, en Afrique noire ou au Moyen-Orient, les massages aux tout-petits font partie du patrimoine culturel, sont ritualisés et transmis. Dans ces cultures, les manipulations sont longues et répétées. En Inde, surtout dans les couches supérieures de la société, les mères prolongent la toilette de leur bébé par des gestes caressants, doux et harmonieux. Dans certains pays d’Afrique, les massages peuvent être plus diversifiés : pressions fermes, pétrissages vigoureux, voire, dans certaines ethnies, manipulations plus acrobatiques (Fontanel et d’Harcourt, 2009).
En Occident, les contacts cutanés se sont longtemps limités aux lavages, changes et habillages. Pourtant, le massage avait été utilisé dès l’Antiquité pour apaiser ou guérir le corps et l’esprit : il fut une des plus anciennes formes de thérapie populaire, reconnue par les médecins grecs pour guérir et soulager. Pourquoi n’avons-nous pas conservé ces héritages ?
En France, le massage entre adultes connut des périodes de gloire, puis de quasi-interdictions. La chute de l’Empire romain vit son abandon, et le Moyen Âge, sa prohibition. Confondu avec des pratiques sexuelles douteuses, tout contact physique fut marqué de suspicion et placé sous le sceau de la honte. À la Renaissance, les médecins réinvestirent ces pratiques et le préconisèrent à nouveau. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, l’évolution des mentalités et la libération des mœurs réactualisèrent les pratiques du toucher bienfaisant, apaisant. Progressivement, les massages ont fait l’objet de spécialités, du moins chez l’adulte, en institut, en spa.
Ces dernières années, les connaissances scientifiques ont validé les bénéfices du massage du bébé. À ces éléments reconnus, se sont ajoutées les connaissances à propos des massages indiens, doux et harmonieux, des massages suédois, des massages du nord et du sud de l’Afrique. De nos jours, les parents sont en recherche de ressources pour s’investir plus efficacement dans cette pratique.
La place du professionnel dans l’initiation à la communication par le toucher
Dans notre société française, l’absence de culture du massage rend la transmission nécessaire par des personnes formées. Celles-ci peuvent proposer aux nouveaux parents des ateliers, des formations sur le toucher1 comme mode de communication. Le toucher, l’éveil sensoriel offrent aux parents, au bébé, des outils facilitant cette transition sensorielle d’un état à un autre pour le parent, d’un monde à l’autre pour le tout-petit.
Poser ensemble les objectifs est une priorité. Le principal est de favoriser la relation parent-enfant dans un temps de plaisir partagé, un temps pour se faire plaisir, en dehors des soins routiniers comme le change ou l’alimentation, un temps de confiance. Ce principe bien intégré permet de poser les jalons et les limites de l’apprentissage.
Le professionnel accompagne le parent, écoute, explique, soutient, lui montre les gestes et les enchaînements possibles. Les démonstrations se font sur un poupon, puis le parent applique la technique sur son propre bébé, à son rythme, selon ses propres possibilités et selon son observation des disponibilités ou limites de son enfant. L’instructeur permet au parent de se sentir à l’aise, de prendre confiance dans ses observations et dans le « prendre soin » de son enfant à travers cette pratique. Le professionnel s’efface : il est un soutien, un étayage, un facteur d’éclosion de la confiance en soi du parent. Ce dernier ne peut pas échouer dans son apprentissage : la maturation de la pratique se fera à son rythme, selon ses besoins et ses possibles.
Le professionnel qui montre aux parents en pratiquant lui-même sur leur enfant donne une valeur de technicité à ses actes, sans donner priorité à l’implication entière, relationnelle, de découverte, d’échanges, de bien-être : quel impact le sentiment d’incompétence susceptible d’en découler pourrait-il avoir sur la construction du parent ? Le professionnel instructeur est spécialiste de cette pratique, tandis que les parents sont les experts de leur bébé. Il est essentiel de leur permettre de prendre conscience de leurs compétences, de leur exclusivité, de leur spécificité.
Les parents et la communication
Malgré la proximité de la grossesse, parents et bébé commencent à la naissance à se découvrir, à s’apprivoiser, à se connaître. Les parents, découvrant un nouvel être et de nouvelles responsabilités, ont besoin de temps pour se trouver, se faire confiance et consolider leur estime d’eux-mêmes. « Le principe consiste à découvrir ses modes personnels d’expression et à associer des termes précis à ses gestes » (Mc Clure, 2006).
Au cours des premiers mois, l’individualité du bébé se manifeste. Le parent, accompagné avec bienveillance comme personne compétente pour son enfant, découvre toute la palette des bienfaits du massage sur son bébé. Guidé sur l’aspect technique des conditions de massage (installation, environnement sensoriel, temporel, enchaînement des séquences), le parent peut investir ce moment après avoir intégré cette partie du savoir-faire. Il va rapidement se délester du côté « bon élève qui fait bien comme il faut le geste » pour ne plus être que dans la découverte, l’échange, la relation, le partage, le plaisir, à travers un toucher investi. Les paroles spontanées, libres de toute contrainte, ajoutent au bien-être du bébé.
Les échanges, la pratique, participent au renforcement de la relation parent-enfant et au sein du couple de parents, riches d’une approche commune par le toucher. Chacun pourra ainsi apprécier ces temps privilégiés, tant en termes de temps de qualité (pause, détente) que de durée et de plaisir. « Masser les enfants […] contribue à établir le lien parent-enfant en promouvant des relations chaleureuses et positives » (Field, 2003).
Le massage comme support d’une transition douce durant le quatrième trimestre.
« Depuis des dizaines de millions de générations, un transfert de grande importance a lieu, faisant passer le bébé d’un environnement entièrement vivant dans le corps de sa mère, à un environnement en dehors de celui-ci et seulement partiellement vivant » (Liedloff, 1985). « La fonction contenante prolonge les caractéristiques de la vie intra-utérine » (Pinelli, 2006).
Au cours de l’évolution, le passage à la position verticale a permis la libération des bras et des mains. Les bras peuvent contenir et bercer. Les mains peuvent offrir des stimulations cutanées, des pressions localisées, des caresses apaisantes : toute une richesse de sensations participant au continuum sensoriel transnatal.
L’unité du corps
Les massages favorisent chez le bébé la conscience de son propre corps, unifié plutôt que morcelé. Le parent prend contact par un toucher contenant, présent, puis enchaîne les mouvements par des pressions alternées faisant glisser ou appuyant une main après l’autre. Ils nourrissent le développement des capacités du bébé à appréhender les limites de son corps et à investir ses possibilités dynamiques. Dans les cultures africaines, en particulier, les massages favorisent la précocité de l’expression de ces prédispositions. Alors que l’éparpillement ressenti lors de ces temps de désorganisation où bras et jambes s’agitent dans tous les sens désoriente ses perceptions et aggrave sa perturbation, les diverses stimulations du toucher contenant, présent, soutiennent le bébé, le bambin ou l’enfant, dans l’investissement de la globalité de son organisme.
Cet effet unificateur est bien explicité par l’instructeur ; il est important de maintenir un contact cutané de la main ou de l’avant-bras avec le bébé, d’enchaîner les gestes à une cadence posée, sans précipitation, en restant à l’écoute et au rythme du bébé. À l’inverse, éloigner les mains pour remettre de l’huile de massage risque de limiter voire d’annuler l’effet globalisant. L’arrêt du contact, la discontinuité peuvent donner l’impression d’une rupture, d’un morcellement, même si les bénéfices du toucher persistent malgré tout.
Anti-stress pour le bébé
Soutenu, contenu, le bébé peut sentir baisser son stress et se développer sans surcharge de cortisol. Cette hormone, libérée en situation de stress, aide à y faire face. Mais les successions de sa libération et son accumulation surstimulent l’organisme et conditionnent au fonctionnement en état de tension.
À l’inverse, la répétition des massages favorise la détente, le bien-être et limite les effets négatifs du cortisol à court et long terme.
Dès le début du massage, le parent respecte son bébé en captant son regard et en lui demandant l’autorisation de le masser. Durant les temps de massage, le parent reste attentif et tient compte des réactions du bébé. Il prend contact par un toucher contenant, présent. Lorsque l’enfant manifeste des signes de gêne, il peut être intéressant de poursuivre le massage en laissant à l’enfant la possibilité de s’apaiser ; cependant, selon l’évolution, il peut être nécessaire d’y mettre fin. Progressivement, le parent augmente le nombre de mouvements par série et les surfaces sollicitées.
À d’autres moments, il vaut mieux limiter les manœuvres à une seule zone, en particulier lorsque l’enfant présente des comportements apparentés à des coliques.
Dans un premier temps, l’attention et l’observation permettent de respecter les étapes : de la découverte, où le bébé a besoin d’un temps d’adaptation, à celle de sa familiarisation. Il a besoin de temps avant d’apprécier les bienfaits des massages et de vivre l’expérience comme un moment de partage, de détente, d’apaisement, de plaisir.
Le bébé apprécie la nouveauté lorsqu’il se sent contenu et accompagné. Mais cette ouverture à l’exploration est limitée et peut facilement le déborder. Par la répétition des mêmes gestes, des mêmes séquences, le bébé accepte la globalité des stimulations proposées.
Les premières fois peuvent être écourtées, voire reportées, si l’enfant montre des signes indiquant que les stimulations apportées dépassent ses capacités d’organisation immature, par exemple : de l’agitation, des régurgitations, des pleurs, des changements de coloration. Le bébé montre ainsi qu’il a atteint ses limites et qu’il a besoin d’une pause, voire d’un arrêt du massage. Il pourra être renouvelé ultérieurement, laissant ainsi à l’enfant le temps de se familiariser et de l’intégrer.
Anti-stress pour le parent
« Les parents disent que nos séances de massage ont non seulement sauvé leur couple mais aussi leur enfant de la maltraitance, en contribuant à le calmer et à l’endormir » (Field, 2003). Le massage permet une limitation du stress tant pour l’enfant qui le reçoit que pour le parent qui l’administre. L’adulte avant le massage se met en condition en prenant un temps de détente, comme un sas entre l’agitation quotidienne et le calme de la pratique. Les explications à propos des effets bénéfiques des hormones ocytocine et endorphine peuvent consolider l’assurance des parents, surtout si leur entourage les critique.
Bénéfices pour les grands systèmes organiques
Sur le plan organique, les études montrent les bienfaits des massages par stimulation de tous les grands systèmes. Les appuis continus cutanés stimulent la circulation sanguine. Sur le plan neurologique, ces contacts ajustés favorisent les connexions neuronales.
C’est la fonction qui fait l’organe : plus le toucher, le positionnement dans l’espace et le sens kinesthésique sont sollicités, plus les connexions neurologiques correspondantes se développent. Certains des gestes protocolisés par l’iaim2 favorisent l’apaisement du système digestif, utile lors de réactions imputées aux coliques (Mc Clure, 2006) et devant lesquelles les parents se sentent souvent démunis.
Les mouvements locaux de soutien, de détente peuvent apaiser l’enfant et créer chez le parent un réconfortant sentiment de compétence à tranquilliser son bébé.
En outre, « au fil de la séance qui le détend, [le massage] améliore son humeur et le prépare à un sommeil plus profond » (ibid.), sommeil également favorisé par l’apaisement procuré.
L’attachement
Le parent fait l’apprentissage de stratégies pour « répondre à la détresse de [son] enfant de façon empathique et en [lui] procurant un support émotionnel » (Guedeney et Guedeney, 2015). Les temps de contacts cutanés appuyés et continus facilitent les réponses parentales et favorisent l’attachement du parent à son bébé. Récompensé par les réponses positives du bébé, il va plus facilement pouvoir l’investir, avoir envie de prolonger les temps de proximité indispensables à la création et à l’entretien d’une relation optimale. Les gratifications comportementales de l’enfant valorisent le parent dans son nouveau rôle, dans ses compétences et le valident à ses propres yeux.
Du côté du bébé, il peut investir le parent comme « donneur de soins » rassurant, équilibrant, favorisant les conditions de bien-être physique et psychique. Il construit sa base de sécurité en s’appuyant sur la confiance qu’il peut mettre « dans l’idée qu’une figure de soutien, protectrice, sera accessible et disponible en cas de besoin » (ibid.).
Les temps de massage permettent un temps d’attention individuelle avec le parent. Le bébé investit la sensation d’être acteur de la relation et, avec le temps, d’être un individu à part entière. Les bases de sécurité offertes et fortifiées par les parents favorisent la confiance de l’enfant et facilitent ultérieurement son autonomie et l’exploration de sa situation d’individu à part entière.
Massages et traversée du quatrième trimestre, et au-delà…
Ainsi, les massages permettent de traverser cette période de transition, offrant au bébé des conditions de soutien, de découverte, d’apaisement, de progression dans l’expérience cutanée, et aux parents l’opportunité de faciliter l’épanouissement de leurs compétences et de la relation à leur enfant.
Bibliographie
Field, T. 2003. Les bienfaits du toucher, Paris, Petite Bibliothèque Payot.
Fontanel, G. ; d’Harcourt, C. 2009. Bébés du monde, Paris, La Martinière.
Guedeney, n. ; guedeney, A. 2015. L’attachement : approche théorique, Paris, Elsevier Masson.
Liedloff, J. 1985. Le concept du continuum, Le Touvet, Ambre Éditions.
Mcclure, V. 2006. Le massage des bébés, Paris, Tchou.
Pinelli, A. 2006. Porter le bébé vers son autonomie, Toulouse, érès, coll. « 1001BB ».
Winnicott, D. 1953. La mère suffisamment bonne, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1996.
- Pour ne pas dire le mot massage, domaine réservé aux masseurs-kinésithérapeutes. Progressivement, le terme pourra être employé, ces professionnels tendant à limiter leur profession à la kinésithérapie.
- L’International Association Infant Massage (Association internationale en massage pour bébé) a été fondée par Vimala McClure, elle fut la première organisation mondiale de ce type. L’afmB (Association française de massage pour bébé) en est son affiliée en France, http://www.massagebebe.asso.fr