La main, une puissance technique et relationnelle

La main permet, dès la naissance, de nous approprier le monde qui nous entoure grâce à ses récepteurs sensibles. Elle fait le lien entre le geste technique et la relation dans le soin. Si elle peut faire autant de bien que de mal, la main nous oblige à penser cette interaction par le toucher pour perfectionner nos pratiques professionnelles en fonction des histoires de vie, des sensibilités des personnes que nous soignons mais aussi des nôtres.

La main est un objet de découverte, de compréhension du monde, une merveille par laquelle passe la majorité de nos actes et de nos intentions envers nous-même et les autres. Nous nous développons, transmettons et apprenons en grande partie par la main. Elle est un art du corps.

LE TOUCHER ET LE SENS HAPTIQUE

Le geste et le sens du toucher (haptique) passent essentiellement par la main. Édouard Gentaz, professeur de psychologie du développement, pense le sens haptique comme « la fonction perceptive d’appropriation au monde de la main » [1].

Ce sens permet l’exploration et influe sur les capacités globales de mémorisation et de traitement de l’information pour aboutir à une représentation1 unifiée de l’objet.

Le toucher participe à l’organisation de la vie relationnelle, essentielle au développement de la personne. De nombreux auteurs2  ont posé les jalons d’une dépendance existentielle à autrui dès la naissance, centrée sur les modalités relationnelles et affectives, en peau à peau, observant des pathologies importantes lorsque ces inter actions font défaut. Ainsi, dès notre conception, « nous sommes tous, plus ou moins, des êtres attachés qui tendent à “être ensemble séparément” » [2]. La main occupe une place majeure dans le développement.

Elle est essentielle pour le toucher en raison du nombre de ses récepteurs sensoriels.

Elle complète la locomotion et le langage dans ce fonctionnement d’intégration du monde.

La main qui touche implique nos corps, “en présence” ou “à distance”. Elle a cette particularité de prendre l’être ou de ne pas le prendre. La main ressent la consistance des chairs, la configuration des choses, complète une exploration et installe une intimité avec l’enveloppe corporelle et psychique du patient. Elle est un membre fondamental du toucher, mais plus encore de l’intention mise dans ce toucher, par la forme de son geste.

La main peut ainsi être en pronation et agrippante, en supination et accueillante, ou de biais et devenir caressante, enveloppante.

LA MAIN, UN TRANSMETTEUR SENSIBLE

Le toucher serait-il relationnel ? ou technique ? Existe-t-il vraiment des touchers distincts ?

Ou, comme je le crois, un seul toucher, dans lequel nous mettons nos pensées, nos principes, nos peurs, nos dégoûts ? Notre sensibilité se pose dans tous nos gestes. Si ma main tremble, la personne le sent ; cela dépasse la volonté. Vous pouvez vous dire “ Je me force, ça va aller”, une dimension sensible puissante passe néanmoins par la main, vous dépasse en quelque sorte, et aura un impact sur la personne soignée.

La main est un support expressif de la relation et de notre capacité à agir. Elle est une reliance de notre confiance en nos gestes et de nos désirs. La main qui caresse, qui tape, qui fait du bien, qui fait peur, qui fait mal. Elle est un intermédiaire de la volonté de la personne.

La main n’a pas de volonté propre ; elle est la continuité et la terminaison fabuleuse du corps.

Le toucher, associé à la main et à ses capacités, offre donc la possibilité de transmettre les émotions, les états de tension. Il véhicule autant le plaisir que la souffrance, tout en garantissant la réalisation d’une action.

La technique, ce geste appris de soin, guide la main et la pensée de façon synchrone pour qui a du sens pour le professionnel et, en même temps, pour la personne soignée. Ce qui est appris et vécu dans les formations reste inscrit dans le corps, dans l’idée, se transmet dans le geste, par la main. Quand la technique est parfaitement intégrée, elle peut donner libre cours à l’expression de la personne comme “totalité”. Le geste relie la technique et la sensibilité du soignant en un contact personnalisé. Par conséquent, si en tant que soignant nous nous mettons en cohérence avec ce que nous sommes, avec nos intentions éthiques de recherche du “bon pour l’autre”, nous pouvons transmettre par notre toucher une qualité de lien très importante, même lors de gestes uniquement techniques.

ADAPTER LE TOUCHER AUX PRÉFÉRENCES DES PATIENTS

En dehors des soins indispensables, nous devons agir en fonction des préférences personnelles des patients en matière de toucher. Dès le plus jeune âge, nous pouvons constater que certains apprécient le toucher, d’autres le refusent ou l’évitent. Une nécessaire adaptation est bienvenue pour nous ajuster au mieux. La place des proches influe également : les familles ont leur propre vécu face au toucher, ou connaissent comment le patient appréhende cette dimension. Elles pourront dire s’il apprécie d’être touché, accompagné par le toucher lors des soins techniques pour apaiser, ou si la parole suffi ra.

Si un soignant engage un toucher “par habitude” parce que cela “fait du bien”, il risque de se heurter aux patients, aux familles, et à leur colère.

Sans comprendre pourquoi. Le toucher n’est pas anodin, la main peut être invasive, intrusive, également pour les proches, qui forment une sorte de “continuité psychique” du patient. Et quand les soins sont importants, la personne peut juste avoir envie d’être moins sollicitée. Les soignants doivent s’adapter en permanence quant à cette dimension.

Il est préférable d’avancer à petits pas que de faire des grandes caresses dans le dos d’un enfant, par exemple, en présupposant que cela va l’apaiser.

Nous ne connaissons que très rarement l’histoire et l’expérience des patients sur ce sujet. Il ne s’agit pas toujours de faits graves, mais parfois simplement d’habitudes, d’éducation, de pudeur ; elles sont respectables en tous points.

INTERROGER SA PRATIQUE PROFESSIONNELLE

Actuellement, dans ce contexte de pandémie de Covid-19, les séances de toucher dit relationnel (massages de confort, ateliers, etc.) cèdent le pas au profit de touchers associés aux techniques de soins “utiles”. Mais nous pouvons toujours placer notre intention dans chacun de nos gestes, et les penser pour communiquer du soin relationnel.

Cela suppose encore et toujours d’interroger notre pratique professionnelle : Où en sommes-nous de notre engagement dans notre métier ?

Prenons-nous du plaisir à soigner ? Si l’usure, le dépit ou l’abattement envahissent trop notre état d’esprit, cela passera également dans nos mains et dans nos regards. Où en sommes-nous de nos expériences de toucher à titre personnel ? Qu’allons-nous transmettre – parfois à notre insu ? L’inconscient se glisse dans nos gestes et dans leurs finalités. Nous pouvons agir sur ces états et sur nos propres difficultés. Appuyons-nous sur la notion de réversibilité du toucher :

à chaque fois que ma main touche, je suis touché en même temps. Le toucher est le seul sens qui supporte un effet simultané sur les deux personnes en contact.

CONCLUSION

La main permet une reliance entre les êtres humains, et nous engage dans notre façon de penser et d’effectuer les soins du quotidien.

 

Karine RENARD

Docteur en sciences de l’éducation, psychothérapeute, psychomotricienne, DU Épuisement professionnel

 

© 2021 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

 

1 Image mentale générale que l’on se fait d’un objet et que nous gardons en tête même sans le voir.

2 John Bowlby (1907-1990) et Mary Ainsworth (1913-1999) ont décrit la théorie de l’attachement, suivis par René Spitz (1887-1974) et Donald W. Winnicott (1896-1971).

 

Références

[1] Gentaz E. La main, le cerveau et le toucher. Paris : Dunod ; 2009.

[2] Lambert N, Lostra F. L’attachement. De Konrad Lorenz à Larry Young : de l’éthologie à la neurobiologie. Cah Crit Ther Fam Prat Reseaux 2005 ; (35) : 83 – 97.

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