La problématique du toucher a toutes les chances de devenir centrale dans le cadre d’une œuvre ayant partie liée avec l’érotisme, à tout le moins dont le sujet principal s’axe autour de la question du corps et de l’éveil des sens. C’est précisément ce qui est en jeu dans The Second Lady Chatterley’s Lover1 de David Herbert Lawrence (écrit en 1927 et publié pour la première fois en 1972) et, par conséquent, dans son adaptation cinématographique réalisée par Pascale Ferran en 2006, Lady Chatterley2.
Le roman de Lawrence raconte la réanimation du corps de son héroïne, châtelaine mariée à un invalide de guerre, et sa redécouverte du plaisir à travers une histoire d’amour adultérine avec le garde-chasse du domaine de son mari. The Second Lady Chatterley’s Lover, s’il ne se départit pas d’une forte attention portée à l’intériorité des personnages, est en dernière analyse le roman d’un épanouissement corporel, d’une réincarnation de la chair. Le romancier, comme la cinéaste, traitent ce lent apprentissage du contact physique en convoquant une expérience tactile du monde, qui passe par la découverte de l’autre via le toucher : « Her soul would have to have some relief, some hope, some touch. It was that she wanted. Not any revelation nor any new idea. A new touch. Just a touch. »3
D’une œuvre à l’autre, percent la connivence artistique entre deux personnalités et la volonté de Pascale Ferran de prolonger le mouvement inauguré par Lawrence. Ainsi, à une note de Lawrence, très représentative de la conception que l’écrivain se faisait de la littérature – « Je pense que l’art doit révéler l’instant dans sa palpitation. »4 – pourrait répondre celle de la cinéaste :
J’essaie toujours d’être au plus près de la présence du monde : tenter de capter les frémissements du vent, presque les odeurs, si je pouvais… Et, dans Lady Chatterley, c’est enrichi de sensations tactiles […].5
Nous nous proposons donc, dans une étude comparative, d’analyser les moyens littéraires et cinématographiques voués à créer les conditions d’une lente attraction des corps tendue vers le toucher. Mais ce simple toucher, vital à l’héroïne du récit, met un certain temps à se réaliser et passe par d’autres formes de contact, à commencer par la vision. Évoquant une « vision haptique » telle que définie par Gilles Deleuze6, le regard va se faire l’agent du contact entre deux êtres et rompre les lois cartésiennes de l’espace pour invoquer la figure de l’autre et la rendre quasi-palpable. Va ensuite s’opérer un déplacement vers un toucher absent, quand le contact sera transféré sur des objets vivants ou portant trace du vivant, dans un rapprochement où la figure de la maintiendra une place essentielle – autant de passages obligés avant que l’étreinte espérée ne soit enfin célébrée.
L’histoire étant celle d’une révolution totale de l’être par le corps, il faut que l’héroïne défaille avant que de renaître à soi, d’où une première partie (dans le roman et dans le film) vouée à faire état d’une déperdition morale et physique, du dépérissement progressif de la jeune Constance, corps inanimé, exsangue voire absent. Après quoi, petit à petit, plusieurs événements vont conduire au sacro-saint toucher salvateur. Le premier contact physique entre Constance et Parkin, le garde-chasse de Wragby, ne survient qu’à la page 105 du roman et aux alentours de la 45ème minute du film. Mais ce contact n’est pas sans précédents, à commencer par celui du regard de la femme posé sur le corps de l’homme. Or cette première étape vers le toucher est aussi une première rencontre qui va se doubler dans le texte et à l’écran d’une pure épiphanie, où la « vision haptique » tend à actualiser le corps de l’autre.