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Lady Chatterley – du roman au film : la reconquête du corps par le toucher

La problématique du toucher a toutes les chances de devenir centrale dans le cadre d’une œuvre ayant partie liée avec l’érotisme, à tout le moins dont le sujet principal s’axe autour de la question du corps et de l’éveil des sens. C’est précisément ce qui est en jeu dans The Second Lady Chatterley’s Lover1 de David Herbert Lawrence (écrit en 1927 et publié pour la première fois en 1972) et, par conséquent, dans son adaptation cinématographique réalisée par Pascale Ferran en 2006, Lady Chatterley2.

Le roman de Lawrence raconte la réanimation du corps de son héroïne, châtelaine mariée à un invalide de guerre, et sa redécouverte du plaisir à travers une histoire d’amour adultérine avec le garde-chasse du domaine de son mari. The Second Lady Chatterley’s Lover, s’il ne se départit pas d’une forte attention portée à l’intériorité des personnages, est en dernière analyse le roman d’un épanouissement corporel, d’une réincarnation de la chair. Le romancier, comme la cinéaste, traitent ce lent apprentissage du contact physique en convoquant une expérience tactile du monde, qui passe par la découverte de l’autre via le toucher : « Her soul would have to have some relief, some hope, some touch. It was that she wanted. Not any revelation nor any new idea. A new touch. Just a touch. »3

D’une œuvre à l’autre, percent la connivence artistique entre deux personnalités et la volonté de Pascale Ferran de prolonger le mouvement inauguré par Lawrence. Ainsi, à une note de Lawrence, très représentative de la conception que l’écrivain se faisait de la littérature – « Je pense que l’art doit révéler l’instant dans sa palpitation. »4 – pourrait répondre celle de la cinéaste :

J’essaie toujours d’être au plus près de la présence du monde : tenter de capter les frémissements du vent, presque les odeurs, si je pouvais… Et, dans Lady Chatterley, c’est enrichi de sensations tactiles […].5

Nous nous proposons donc, dans une étude comparative, d’analyser les moyens littéraires et cinématographiques voués à créer les conditions d’une lente attraction des corps tendue vers le toucher. Mais ce simple toucher, vital à l’héroïne du récit, met un certain temps à se réaliser et passe par d’autres formes de contact, à commencer par la vision. Évoquant une « vision haptique » telle que définie par Gilles Deleuze6, le regard va se faire l’agent du contact entre deux êtres et rompre les lois cartésiennes de l’espace pour invoquer la figure de l’autre et la rendre quasi-palpable. Va ensuite s’opérer un déplacement vers un toucher absent, quand le contact sera transféré sur des objets vivants ou portant trace du vivant, dans un rapprochement où la figure de la maintiendra une place essentielle – autant de passages obligés avant que l’étreinte espérée ne soit enfin célébrée.

L’histoire étant celle d’une révolution totale de l’être par le corps, il faut que l’héroïne défaille avant que de renaître à soi, d’où une première partie (dans le roman et dans le film) vouée à faire état d’une déperdition morale et physique, du dépérissement progressif de la jeune Constance, corps inanimé, exsangue voire absent. Après quoi, petit à petit, plusieurs événements vont conduire au sacro-saint toucher salvateur. Le premier contact physique entre Constance et Parkin, le garde-chasse de Wragby, ne survient qu’à la page 105 du roman et aux alentours de la 45ème minute du film. Mais ce contact n’est pas sans précédents, à commencer par celui du regard de la femme posé sur le corps de l’homme. Or cette première étape vers le toucher est aussi une première rencontre qui va se doubler dans le texte et à l’écran d’une pure épiphanie, où la « vision haptique » tend à actualiser le corps de l’autre.

L’effet du massage sur le système nerveux

En collaboration avec Dr Serge Marchand, spécialiste de la douleur, professeur titulaire à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke et directeur scientifique du Fonds de recherche du Québec — Santé (FQRS) 12/02/2018

Véritable centre de contrôle de l’organisme, le système nerveux recueille et analyse à chaque seconde une quantité impressionnante d’informations qui permettent au corps de s’adapter à son environnement. Mais peut-on moduler son activité? Le point sur l’effet du massage sur le système nerveux.

Grâce au toucher, nous recevons de l’information sur l’environnement dans lequel nous évoluons : la sensation d’une brise fraîche sur notre peau par une chaude journée d’été, la caresse d’une mère à son nouveau-né, le contact avec une surface lisse ou rugueuse, chaude ou froide, le réconfort, la tendresse. Mais pour en arriver à distinguer ces sensations, encore faut-il les interpréter.

Pour ce faire, notre système nerveux s’avère un véritable chef d’orchestre. Ainsi, lorsqu’une personne pose sa main sur notre bras, les récepteurs sensoriels de la peau perçoivent la sensation. Ils transmettent l’information aux nerfs, qui convergent vers l’encéphale et la moelle épinière. C’est là, dans le système nerveux central, que les données sont analysées et interprétées. Une réponse motrice est par la suite élaborée, puis acheminée par les nerfs jusqu’aux différents organes du corps, avec pour résultat une réaction à la sensation initiale : douleur, chaleur, stress, apaisement, relaxation.

Examen de la portée des connaissances sur les concepts du toucher et du massage et de leurs effets sur l’agitation et le stress des personnes âgées hospitalisées atteintes de démence

Corinne Schaub, Armin von Gunten et Diane Morin

Dans Recherche en soins infirmiers 2016/3 (N° 126), pages 7 à 23

Introduction

Cet examen de portée explore les nombreuses dimensions en jeu dans les interventions de toucher/massage prodiguées par les soins infirmiers. Ce type de synthèse de connaissances a été choisi car il permet de ratisser de manière systématique et itérative la documentation disponible et prendre une première mesure de l’envergure des travaux sur un phénomène donné (1). Les orientations suggérées par Arksey et Malley (2) ont été retenues ; cette synthèse utilise des repères théoriques afin de structurer un compte rendu narratif de la documentation existante. Le choix des articles inclus est basé sur leur pertinence ainsi que sur leur niveau de preuve mais aussi sur leur capacité de mettre en relief la complexité du phénomène du toucher/massage.

La stratégie de recherche documentaire a été réalisée sur les bases de données Pubmed et Cinahl en utilisant les descripteurs relatifs au toucher/massage, aux mécanismes physiologiques d’action, et aux effets sur l’agitation et le stress des personnes atteintes de démence, de même que sur les soignants qui l’utilisent. Des articles voisins ont été retenus selon leur niveau de pertinence. N’ont été considérés que les documents en français et en anglais. Les limites temporelles pour la sélection des méta-analyses et des études expérimentales étaient de 10 ans selon leur niveau d’intérêt et de preuve. Pour être retenues sans limite temporelle, les analyses du concept du toucher/massage devaient avoir démontré une méthodologie pertinente. Ainsi, plus de 250 sources ont été analysées selon ces critères et 116 ont été retenues. Pour des raisons éditoriales, seules 50 sources considérées comme les plus importantes sont référencées dans cet article. Les lecteurs intéressés peuvent demander de recevoir la bibliographie complète à l’auteure principale.

Théoriquement, la proposition qui soutient la construction de cet article est la suivante. Le toucher/massage procure des bienfaits aux personnes âgées souffrant de démence et d’agitation. En effet, l’agitation des personnes atteintes de démence, scientifiquement documentée pour être corrélée à l’inconfort, devrait s’atténuer lorsqu’est réalisé un soin (incluant soin non-pharmacologique – soin de confort) adapté à la situation, surtout si celui-ci est plusieurs fois répété. C’est ici qu’interviennent, lors de ces soins nécessitant un contact relationnel entre soignant et patient, les connaissances sur l’activation des différents modes d’attachement des personnes atteintes de démence. Ces modes d’attachement pourraient participer à expliquer la relative imprévisibilité des réactions lors de la réalisation d’actes habituellement considérés comme agréables comme cela a été développé dans notre premier examen de portée (3). Ces effets sont modulés par plusieurs déterminants ancrés dans les neurosciences médicales, les sciences infirmières, la psychologie et la sociologie. Ils peuvent avoir un impact favorable sur l’agitation en raison de ses effets biologiques sur le stress qui intervient dans la modulation des échanges sociaux (4). Il faut donc d’abord comprendre et tenir compte des caractéristiques neurophysiologiques de la peau et des dimensions sociales et émotionnelles en jeu lors des activités de toucher/massage. Puis, afin d’explorer l’ensemble des dimensions en jeu, les travaux sur le toucher et le massage développés par les sciences infirmières sont décrits. Ils sont suivis de l’examen des besoins en toucher des personnes âgées et de la perception de soignants à réaliser des contacts physiques auprès de cette population.

Quoique la synthèse de l’évidence relative aux besoins en contact physique et à l’effet du toucher/massage auprès des personnes âgées souffrant de troubles cognitifs soit favorable à notre proposition, cet article propose des pistes additionnelles pour la recherche.

Le toucher de relation

Cet article vise à introduire une approche somato-psychique dans la relation d’aide au patient. Nous voyons apparaître depuis quelques années une mutation des mentalités concernant la vision du soin. L’idée du soin a longuement été résumée à « faire un soin »  ou à « apporter un soin » ciblé sur une pathologie. Dans cette acception du terme, la personne souffrant de maladie est reléguée au second plan au profit d’une approche symptomatique. Les sciences humaines et sociales apportèrent une évolution dans la prise en charge des patients en y incluant une dimension humaine donnant lieu à une approche centrée sur la personne. On doit aux sciences de l’éducation un regard qui privilégie le pôle éducatif et formatif du soin. Les dimensions du « prendre soin de quelqu’un » sont multiples, elles permettent la rencontre et l’accompagnement d’autrui dans son existence en vue de participer au déploiement de la santé. Parmi les nombreuses approches qui existent, nous avons souhaité aborder la notion de « prendre soin » sous l’angle du toucher dans la relation d’aide manuelle sur le mode du Sensible.

Nous avons dans un premier mouvement, situé les enjeux du sentiment d’existence et introduit le toucher de relation d’aide dans son champ paradigmatique et épistémologique tel qu’il se présente en France. Cela permettra aux confrères brésiliens de mieux situer le contexte de la relation d’aide dans un pays européen. Dans un second mouvement, nous avons introduit la relation d’aide sous l’éclairage du Sensible à travers une approche somato-psychopédagogique de l’accompagnement du patient.

Hélène Bourhis

 

On pense autant avec sa peau qu’avec son cerveau

Grâce à son travail quotidien avec les nouveau-nés, la psychanalyste Sophie Marinopoulos a acquis la certitude que notre chair dit tout de nous : questions irrésolues, souvenirs heureux ou mal digérés… Entretien à l’occasion de la sortie de son livre Le Corps bavard.

Par Pascale Senk – Mis à jour le 9 Octobre 2019 à 18:27

Sophie marinopoulos exerce depuis 1985 à la maternité de Nantes, où elle est chargée de l’accueil et du suivi des maternités vulnérables. Elle a déjà publié Moïse, Œdipe, Superman… de l’abandon à l’adoption(avec Catherine Sellenet et Françoise Vallée) et Dans l’intime des mères (Fayard, 2003 et 2005).

L’utilisation du toucher-massage lors de douleur cancéreuse

Les bénéfices pour le soigné atteint de douleur cancéreuse

Quel est l’intérêt du toucher-massage pour les personnes atteintes de douleur cancéreuse ?

« Au travers du toucher, c’est la personne dans sa globalité qui est reconnue » (Avet et al., 2006, p83). En effet, c’est « reconnaitre l’autre au-delà de sa maladie, [ici le cancer], c’est induire des moments de détente, la notion de plaisir » (Avet et al., p83). C’est aussi un moyen non pharmacologique de prise en charge de la douleur, une « méthode physique » car elle utilise un moyen physique, le « contact de la peau pour stimuler les fibres nerveuses qui stoppent l’influx nerveux » (Thibault et Fournival, 2012, p XIX). En effet, c’est la théorie du « gate control », mécanisme compris par Melzack et Wall en 1965. C’est « l’explication scientifique [de ce qu’il se passe quand on] se cogne et frotte énergiquement la zone touchée [par réflexe] » (Thibault et Fournival, p 16). « Ce geste automatique entraine le soulagement de la douleur provoquée par le coup. Sur le plan physiologique, ce comportement permet le blocage du message douloureux, transmis au cerveau par des fibres de petit calibre [αδ ou C], par le message de frottement, transmis par des fibres de gros calibres [β]. » (Thibault et Fournival, p 16).

C’est exactement le même principe lors du toucher massage. En effet, « [le toucher est transmis très rapidement au cerveau grâce aux fibres très myélinisées (αβ) qui permettent une conduction rapide, plus rapide que la transmission de la douleur avec ses fibres peu (αδ) ou non myélinisées (C) »] »13 (Dr Levesque, 2017). De plus, lors de cette action, il y a « [libération] d’endorphines par l’organisme, hormones du plaisir qui ont un pouvoir analgésique et procurent une sensation de bien-être » (Thibault et Fournival, p 16).

Chez un patient algique, le toucher permet aussi de « redécouvrir corporellement des zones non douloureuses, sources de bien être ». Ainsi, « l’attention portée au corps n’est plus uniquement centrée sur la douleur et dans certaines situations, il s’agit même d’une décentration complète de l’individu » (Avet et al., p83). « Quelqu’un qui est plus détendu, peut-être qu’il va se recentrer ailleurs que sur ces douleurs à ce moment-là et [ça va] l’aider à se distancer de cette douleur » (ide 2). En effet, « le fait de centrer l’attention du patient sur une région du corps non douloureuse favorise aussi l’effet distractif, le patient se décentre de la zone douloureuse, se défocalise de la douleur. Il ressent alors une sensation de confort, une diminution de la douleur, une sensation de mieux être.» (Thibault et Fournival, p104).

Pour l’infirmière n°3, « c’est un petit répit d’accalmie ». Le toucher-massage permet donc au patient d’oublier un peu sa douleur cancéreuse. A travers le toucher-massage, l’infirmier soulage la douleur mais aussi les émotions associées. « Quand il utilise [cette] méthode non pharmacologique, le soignant ne cherche pas systématiquement à savoir si c’est de la peur ou de la douleur, il propose un […] moyen efficace tant sur la sensation douloureuse que sur les émotions vécues par le patient. » (Thibault et Fournival, p21). En effet, selon l’étude d’un article de recherche14 de Hentz F et al. , en 2009, « que ce soit pour l’anxiété et/ou la douleur », le toucher a toujours « un effet positif ». De plus, « l’intérêt de cette méthode est prouvé dans 7 situations sur 8 [pour la douleur et/ou l’anxiété] ». L’infirmière déclare « ça détend le corps et ça peut détendre le mental, ça peut baisser l’anxiété » (ide 4). De plus, cette technique complémentaire, aide le patient à s’exprimer : « c’est une approche qui passe d’abord par le physique et mine de rien, ils se livrent plus facilement aussi » (ide 2). Ça permet « de créer un contact particulier […] de confiance » (ide 2). Le toucher-massage facilite donc la communication et l’expression de la douleur physique ou morale.

L’utilisation du toucher-massage a donc un grand intérêt pour la prise en charge des personnes atteintes de douleur cancéreuse. Mais y’a-t-il aussi des bénéfices pour l’infirmier qui pratique ?

L’existence comme une histoire de peau : le toucher ou le sens du contact

David Le Breton

Dans La saveur du monde (2006), pages 175 à 217

A fleur de peau

Le sens tactile englobe le corps en son entier en épaisseur et en surface, il émane de la totalité de la peau, contrairement aux autres sens plus étroitement localisés. En permanence sur tous les lieux du corps, même en dormant, nous sentons le monde environnant. Le sensible est d’abord la tactilité des choses, le contact avec les autres ou les objets, le sentiment d’avoir les pieds sur terre. A travers ses peaux innombrables, le monde nous enseigne sur ses constituants, ses volumes, ses textures, ses contours, son poids, sa température. “Le toucher, grands dieux, c’est le sens même du corps tout entier : par lui pénètrent en nous les impressions du dehors, par lui se révèle toute souffrance intérieure de l’organisme, ou bien, au contraire, le plaisir de l’acte de Vénus” (Lucrèce, 1964, 64).

L’éminence du toucher dans l’existence, le fait qu’il soit premier dans l’ontogenèse, induit l’élargissement de la notion de contact aux autres sens. Pour Épicure par exemple tous les sens se réduisent au toucher, puisque toute perception s’assimile à un contact. Platon en reprend l’idée. Aristote établit chaque sens dans sa dimension propre, et il en compte cinq. Il confère cependant au toucher une sorte d’éminence car il “est en effet séparé de tous les autres sens, tandis que les autres sont inséparables de celui-là […]. Le toucher existe seul pour tous les animaux [1][1]Aristote, Petit traité d’histoire naturelle, Belles-Lettres,…”. Un dictionnaire de la langue russe édité en 1903 suggère qu’“en réalité les cinq sens se réduisent à un seul, celui du toucher. La langue et le palais sentent la nourriture ; les oreilles sentent les sons ; le nez les émanations olfactives ; les yeux les rayons de lumière” (in Mead, Metraux, 1953, 163). Voir est assimilé à une palpation de l’œil (Le Breton, 2004). “Le toucher est par rapport aux autres sens ce qu’est le blanc pour les couleurs – c’est sur lui qu’est fondée la gamme des sentiments. Tout ce qui nous vient du dehors est contact, que nous le ressentions sous la forme de la lumière, du son ou de l’odeur [2][2]E. Junger, Le Contemplateur solitaire, Grasset, Paris, 1975, p.….” Matrice des autres sens, la peau est une vaste géographie nourrissant des sensorialités différentes, elle les englobe sur sa toile, ouvrant à l’homme des dimensions singulières du réel que l’on ne saurait isoler les unes des autres. “En effet, dit Condillac, sans le toucher, j’aurais toujours regardé les odeurs, les saveurs, les couleurs et les sons comme à moi ; jamais je n’aurais jugé qu’il y a des corps odoriférants, sonores, colorés, savoureux [3][3]Condillac, Traité des sensations, puf, Paris, 1947, p. 312..”

Mais une autre filiation, plus platonicienne, fait du toucher un sens vulgaire qui ne distingue guère l’homme de l’animal. Si Ficin, fidèle à l’esprit de la Renaissance qui assimile le toucher à la sexualité, reconnaît un instant qu’il s’agit d’un “sens universel” sollicitant autant les animaux que les hommes, il conteste son assimilation à l’intelligence, qui distingue, elle, les hommes du règne animal. Il écrit : “La nature a placé le toucher au plus loin de l’intelligence” (in O’Rourke Boyle, 1995, 4). Le sens du toucher appartient à la matière, non à l’âme ou à l’esprit, il est chose du corps. Si l’amour contemplatif s’élève à partir de la vue, l’amour voluptueux condescend au toucher, mais ce dernier n’a pas la même valeur. Pour Pic de la Mirandole, autre platonicien, les mains et le toucher retiennent corporellement une âme tendue vers son ascension divine. “Les mains ne sont pas une instance de divinisation, mais de dégradation, écrit O’Rourke Boyle. Le toucher des mains n’est pas une image crédible pour un programme platonicien” (1998, 5).

Nombre de philosophes poursuivent le dénigrement d’un sens trop éloigné à leurs yeux de l’âme ou de la pensée. Pour Des cartes, par exemple, le toucher occupe le rang le plus bas dans l’échelle des sens : “L’attouchement qui a pour objet tous les corps qui peuvent mouvoir quelque partie de la chair ou de la peau de notre corps […] ne nous donne en effet pas de connaissance de l’objet : le seul mouvement dont une épée coupe une partie de notre peau nous fait sentir de la douleur sans nous faire savoir pour cela quel est le mouvement ou la figure de cette épée [4][4]R. Descartes, Principes de la philosophie, Gallimard, Paris, p.….” Singulière question que se pose Descartes, plus soucieux du style de la blessure qui lui a été infligée que de la blessure elle-même. La subordination du sens à un savoir conçu sur le modèle de la vue, et rationalisé, amène nécessairement au dénigrement du toucher.

Pourtant, on peut être aveugle, sourd, anosmique et continuer à vivre. On peut connaître des agnosies locales, mais la disparition de toutes sensations tactiles signe la perte de l’autonomie personnelle, la paralysie de la volonté et sa délégation à d’autres personnes. L’homme est impuissant à se mouvoir s’il n’éprouve la solidité de ses mouvements et la tangibilité de son environnement. La disparition du toucher est une privation de la jouissance du monde, l’encombrement dans un corps devenu pesant et inutile, la dérobade de toute possibilité d’action autonome. L’anesthésie cutanée bouleverse le geste, il rend les membres de marbre et provoque la maladresse. “Le sens du toucher est le seul dont la privation entraîne la mort”, observe déjà Aristote (1989, 108). Sans point d’appui, sans limite autour de soi pour ressaisir le sens de la présence, l’homme se dissout dans l’espace comme l’eau se mêle à l’eau, il glisse dans une impensable apesanteur. Seul sens indispensable à la vie, le toucher est la souche fondatrice du rapport de l’homme au monde. A travers la métaphore de la statue qui s’éveille sens après sens, Condillac écrit que c’est “avec le toucher que la statue commence à réfléchir”. Il écrit encore : “Nos connaissances viennent des sens, et particulièrement du toucher, parce que c’est lui qui instruit les autres sens [5][5]Condillac, Id., p. 313.”.

La douceur

« Chacun sait plus ou moins ce qu’est la douceur, et chacun la manifeste plus ou moins dans sa vie. Cependant certains tempéraments dotés d’une forte personnalité doivent davantage travailler la douceur. L’essentiel est d’être doux avec soi-même, de ne pas violenter son corps, d’être doux dans ses pensées et de s’aimer.

Comment pouvez-vous être doux avec vous-même ? Avez-vous seulement appris à caresser votre corps, à lui donner de la tendresse, de la douceur, à lui sourire quand vous vous regardez dans un miroir, à caresser vos mains, vos jambes ? Faites-le en conscience, en disant à votre corps : « je t’aime et je te donne tendresse, douceur et Amour ».

Vous ne voyez souvent votre corps qu’au travers de la souffrance qu’il vous occasionne ; vous dites : « mon corps me fait mal, mon corps par-ci, mon corps par-là, mon corps souffre de dysharmonies, etc ».

Impact de la nature des soins sur la sécrétion d’ocytocine chez l’enfant prématuré – USA – 2018

Dans cette étude originale, les chercheuses en sciences infirmières ont voulu déterminer si les soins avaient un impact sur la sécrétion d’ocytocine des enfants prématurés.

L’ocytocine, appelée aussi hormone de l’attachement, est sécrétée par l’hypothalamus, et influe à la fois sur le fonctionnement du cerveau et des organes cibles périphériques tels que le cœur, le système digestif ou les reins. Sa sécrétion est corrélée aux expériences sensorielles vécues par le bébé, et interagit avec des systèmes biologiques cruciaux tels que l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien – dit « axe du stress » -, le système nerveux autonome et le système dopaminergique. Ces interactions produisent des changements hormonaux qui influent de façon significative les processus neurologiques et neuro-développementaux. L’ocytocine est aussi également impliquée dans la cognition sociale et la régulation émotionnelle.

Toutefois, aucune recherche n’a encore été conduite sur le système ocytocique chez l’enfant prématuré, et aucune donnée sur les taux normaux d’ocytocine n’a été publiée concernant les nouveau-nés et les enfants humains, alors que des données existent chez l’adulte et chez l’animal.

Les infirmières ont un rôle clé pour apporter aux bébés et modéliser auprès des parents, des expériences sensorielles, favorable au lien, à l’attachement et au développement social et émotionnel du bébé.

Introduire la mesure du taux d’ocytocine dans une recherche sur l’enfant prématuré offre l’opportunité d’évaluer de nouvelles interventions en vue de soutenir les processus d’attachement parent-enfant et les processus neurobiologiques favorables à son développement socio-émotionnel.

Le toucher, outil privilégié de la communication non verbale

Des étudiantes en soins infirmiers de l’Ifsi de Beaune ont souhaité approfondir leurs connaissances sur le toucher dans les soins. Dans le cadre des unités d’enseignement optionnels des semestres 5 et 6, elles ont vécu une expérience enrichissante.

Dans le cadre du rôle propre infirmier, les approches non médicamenteuses, notamment autour du toucher, sont intégrées à la prise en soins. Elles favorisent le confort et le bien-être des patients. Ces soins relationnels permettent de développer la communication non verbale et d’enrichir la relation soignant-soigné. Le toucher peut aussi modifier la représentation du soin et l’appréhension qui en découle.

Après avoir revu les fondamentaux du toucher avec une infirmière de l’équipe mobile de soins palliatifs du centre hospitalier de Beaune (Côte d’Or), nous avons appris à nous réapproprier notre corps. Cela nous a aidées pour entrer en relation avec les résidents du Centre Nicolas-Rollin, un établissement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) où nous avons mené notre action.

Par la suite, l’équipe de toucher-détente de l’Ehpad nous a accueillies et associées à leurs activités. Réparties en quatre groupes et accompagnées d’une professionnelle, nous avons pu consacrer un temps de bien-être dédié aux résidents. Chacune des séances, individuelles (massage des bras et jambes) ou collectives (massage des mains), nous a permis d’établir un lien direct peau contre peau. Le toucher s’est révélé un outil privilégié de communication non verbale.

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